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27 mai 2004

L’Inca José Gabriel Túpac Amaru (????-1781)

 

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Des révoltes paysanes se succèdent au Pérou, en Équateur, au Paraguay, au Mexique et en Bolivie. Une occupation de grandes et très grandes propriétés rurales au Brésil. L’Argentine, la Colombie et le Venezuela en révolte. Túpac Amaru symbolise toutes ces luttes et toutes ces réalités.

La soumission des peuples originaires

Túpac Amaru

Le 18 mai 1781, l’Inca José Gabriel Túpac Amaru fut assassiné par les Espagnols. Avec lui tombèrent ses familiers les plus proches et quelques-uns des participants de la révolte. Mutilés, pendus, décapités, écartelés, honnis par leurs gardiens, les tupamaristes écrivirent une page d’héroïsme que les peuples de l’Amérique indienne évoquent encore avec émotion.

L’Inca Túpac Amaru décrivit lui-même certains des modes de vie que les conquistadors imposaient aux natifs américains. « Ils nous oppriment - disait-il - dans les travaux forcés, les chorillos et les plantations de canne à sucre, les plantations de coca, les mines et les prisons et dans nos villages, sans nous donner le moindre instant de liberté dans notre travail ; ils nous rassemblent comme des bêtes, et attachés les uns aux autres, nous livrent aux fermes pour y travailler, sans autre secours que nos propres biens et parfois sans rien ».

C’était la description d’une exploitation terrible où « les Indiens rendent leur vie en vomissant leur sang ».

La rébellion de Túpac Amaru fut l’une des plus importantes menées contre l’empire espagnol. Quelques historiens ont voulu sous-estimer sa signification. Vicente Sierra l’a réduite à un soulèvement contre un corrégidor et Ernesto Palacio a tenté de la discréditer en la reliant aux machinations anglaises dans les colonies espagnoles.

Les causes de la rébellion tupamara furent politiques, sociales et culturelles et mirent au jour l’infâme fléau de l’empire espagnol en Amérique.

Dans Le Capital, Marx décrivit judicieusement, il y a plus d’un siècle, l’effusion de sang qui marqua la domination espagnole. Ce fut, selon Marx, une « croisade d’extermination, d’asservissement et d’ensevelissement de la population aborigène dans les mines », et il rappela que : « Les actes de barbarie et d’impitoyable cruauté que les races qui se disent chrétiennes commirent contre toutes les religions et tous les peuples de la terre qu’ils purent subjuguer, ne connaissent de précédents à aucune époque de l’histoire universelle et dans aucune race, pour sauvage et inculte et pour impitoyable et cynique qu’elle soit ».

La propre mort de Túpac Amaru témoigne de la cruauté subie par la race américaine. La condamnation de Túpac Amaru décrivait en détail la manière dont il devait mourir : « Qu’il soit tiré de la prison, traîné à la queue d’une bête de somme et conduit à la potence ... qu’ayant été naturellement mis à mort par la main du bourreau, sa tête soit coupée et qu’il soit écartelé ; que sa tête soit emportée dans une cage en fer au port de La Guaira ... que l’on expose l’un des quatre morceaux à l’entrée du village de Macuto ».

La réalité dépassa en horreur l’ordre donné. Pedro De Angelis a inséré dans l’une de ses oeuvres documentaires la description minutieuse qu’un témoin oculaire a faite du sacrifice. On pendit d’abord José Verdejo, Andrés Castelo et la femme de Túpac Amaru, Micaela Bastidas, qui subit des tourments infinis ; à son oncle Francisco Túpac Amaru et à son un fils Hipólito, on coupa la langue avant de les pendre ; à l’indienne Condemaita, cacique d’Acos, on appliqua le supplice du garrot. À José Gabriel on coupa la langue et on attacha l’extrémité de ses membres à quatre chevaux. Ne parvenant pas à l’écarteler, ils lui coupèrent la tête.

On infligeait couramment de tels traitements aux indigènes américains et aux autres rebelles. Malgré ses efforts, l’Espagne ne réussit pas à éliminer totalement l’influence inca, dangereuse pour sa stabilité impériale, et le penseur Alexandre von Humboldt écrivit dans la dernière décennie de l’époque coloniale : « Partout où la langue péruvienne a pénétré, l’espoir d’une restauration des Incas a laissé des traces dans la mémoire des indigènes qui gardent quelque souvenir de leur histoire nationale ».

L’épopée de Túpac Amaru appartient à l’ensemble des révoltes populaires anticolonialistes du XVIIIè siècle, comme Antequera, qui ébranla le Paraguay, l’indépendantiste Mompox qui souleva les Guaranis en 1732. Ou comme la population du Venezuela qui se leva contre la Compañía Guipuzcuana entre 1762 et 1764, ou le peuple de Quito en 1765 contre le monopole de l’alcool.

Les écrivains péruviens Urteaga et Valega ont expliqué le contexte du soulèvement tupamaro de 1780 : « La mita (corvée), convertie en travail perpétuel, quel que soit le climat ; les travaux forcés, en facteurs d’anéantissement ; la domesticité, en stérilisation de la jeunesse ; les répartitions, en foyers d’esclavage ; le monopole commercial, en force de désintégration ; l’impôt excessif de l’église, en facteur d’appauvrissemennt ; la loi inefficace, en instigatrice des représailles contre ceux qui réclamaient des droits légitimes ».

Túpac Amaru subit une influence garcilasienne. Le prêche libérateur de l’Inca Garcilaso de la Vega détermina beaucoup de consciences de l’époque. Ses Commentaires royaux rassemblaient une partie de la vision cosmique indigène, laquelle apparentait la situation réelle à la pensée magico-religieuse des opprimés. Des visiteurs, des corrégidors, des ecclésiastiques et des militaires de l’époque se donnèrent pour tâche de détruire cette oeuvre « dangereuse » qui, cependant, était lue avec intérêt par les rebelles.

Mais en étudiant chez les jésuites, Túpac Amaru connut aussi beaucoup d’idées tributaires du tomisme espagnol qui encourageaient la résistance à l’oppression, et posaient même la question du tyranicide contre les despotes. Muni de cet arsenal spirituel, politique et idéologique, Túpac Amaru façonna une révolte qui avait aussi un contenu social. Les Espagnols, considérant les Indiens comme des « bipèdes inférieurs », estimaient que leur exploitation allait de soi. A la base du programme social de Túpac Amaru figuraient cinq revendications :

- 1) La suppression de la mita ;
- 2) l’élimination des manufactures ;
- 3) l’annulation du partage des corrégidors ;
- 4) l’abolition de toute espèce d’impôt sur les ventes ;
- 5) l’affranchissement des esclaves, sous réserve qu’ils adhèrent à la cause.

Túpac Amaru proposa « d’extirper » les Espagnols du sol américain, à l’exception des prêtres, démontrant par là sa volonté indépendantiste.

Le plus grand de ses biographes, Boleslao Lewin, montre dans son oeuvre non surpassée, « La révolte de Túpac Amaru et les origines de l’indépendance de l’Amérique espagnole », que le leader rebelle, malgré les remarquables expressions de sa fidélité au catholicisme, ne manifeste pas dans ses édits aux métis et aux Indiens d’exaltation particulière pour les monarques et les Espagnols.

C’est ainsi qu’il annonçait, en termes voilés, le séparatisme, l’indépendantisme, qui devait encore attendre quatre décennies pour s’affermir. Dans l’un de ses documents, daté du 23 décembre 1780, se référant aux « menaces faites par le royaume d’Europe », il promet aux métis et aux Indiens qu’ « ils seront sous peu totalement libres ».

Son cri de liberté perdure. Comme persiste aussi l’aliénation des droits indigènes dans toute l’Amérique latine.

Traduction pour El Correo : Philippe Raynaud

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