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2 avril 2015

« L’Europe fait honte dans le Donbass » Pepe Escobar en voyage de presse

par Pepe Escobar *

 

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Pepe Escobar, revient d’un voyage de presse dans la République populaire de Donetsk, l’enclave pro-russe de l’oblast de Donetsk dans l’est de l’Ukraine. Le secteur a été le théâtre d’intenses combats entre les rebelles pro-russes et l’armée ukrainienne. Pepe Escobar s’est rendu à Donetsk à l’invitation du projet médiatique Europa Objektiv, basé en Allemagne.

« La guerre n’a pas encore commencé »

Deux hauts commandants cosaques de la République populaire de Donetsk et un volontaire aguerri serbe sont catégoriques : la guerre au Donbass n’a pas encore vraiment commencé.

Le coucher de soleil est spectaculaire dans la terre sainte cosaque de la République populaire de Donetsk où je me trouve, en plein champ adjacent à une ferme d’élevage de chevaux, en train de bavarder avec Nikolai Korsunov, le capitaine de la brigade cosaque Ivan Sirko, et Roman Ivlev, fondateur de l’Union des vétérans du Donbass Berkout.

Pourquoi est-ce la terre sainte cosaque ? Mes interlocuteurs ne manquent pas de me rappeler les hauts faits du légendaire héros militaire cosaque du XVIIe siècle Ivan Sirko, dit le sorcier, à qui on attribuait des pouvoirs extrasensoriels, qui a remporté 55 batailles, la plupart contre les Polonais et les Tatars.

À seulement trois kilomètres d’où nous sommes, s’est déroulée une bataille décisive à un carrefour de l’ancienne Route de la soie appelé Matsapulovska Krinitsa, où 3 000 cosaques et 15 000 Tatars ont livré combat.

Aujourd’hui, à l’aube de la construction de la Nouvelle route de la soie du XXIe siècle préconisée par la Chine, qui traversera aussi la Russie, nous parlons de la guerre par procuration en Ukraine à laquelle se livrent les USA et la Russie, dont le but ultime est la désorganisation de ladite Nouvelle route de la soie.

Le commandant Korsunov dirige l’une des 18 brigades cosaques à Makeevka et 240 de ses soldats sont maintenant engagés dans la guerre civile ukrainienne, dont certains reviennent tout juste du chaudron de Debaltsevo. Une partie d’entre eux étaient dans l’armée ukrainienne, d’autres travaillaient dans le secteur de la sécurité. Korsunov et Ivlev soutiennent que tous leurs combattants exercent un emploi (même s’ils ne sont pas payés) et qu’ils se sont joints volontairement à l’armée de la République populaire de Donetsk. Ils arrivent à survivre d’une manière ou d’une autre.

Qu’est-ce que les combattants cosaques ont de si particulier ? C’est historique. Nous avons toujours combattu pour défendre nos contrées. Le commandant Korsunov est un ancien mineur, aujourd’hui retraité. Pour des raisons évidentes, la junte Porochenko à Kiev ne lui envoie pas de prestations de retraite. Tout ce qu’il reçoit, c’est l’aide des Berkuts et du ministère de la Jeunesse et des Sports de la République populaire, ainsi que les vivres des convois humanitaires en provenance de la Russie.

Korsunov et Ivlev sont convaincus que Minsk 2 ne tiendra pas, que des combats acharnés devraient reprendre d’ici quelques semaines. D’après leurs services de renseignements militaires, à la suite du prêt que le FMI a consenti récemment à l’Ukraine, l’armée de Kiev a reçu pas moins de 3,8 milliards de dollars pour lui permettre de se fournir en armes.

Après Odessa, disent-ils, en référence au massacre de civils qui s’y est déroulé en mai dernier, l’Ukraine telle que nous la connaissions a cessé d’exister. Quelle serait alors la meilleure solution pour le Donbass ? Leur priorité est de libérer tous les Ukrainiens du fascisme. Après la victoire, des référendums devraient être tenus dans toutes les régions du pays. Les gens devraient voter pour ce qu’ils veulent ; que ce soit demeurer en Ukraine, se rapprocher de l’Europe ou encore de la Russie. Ce qui suppose une progression vers l’ouest de l’Ukraine, en territoire hostile. Nous sommes prêts à cinq, sept ans de guerre, peu importe.

Ainsi, même si une solution politique semble vouloir poindre loin à l’horizon, ils se préparent à livrer une guerre prolongée. L’UE a tort de les traiter de séparatistes et même de terroristes. Quant aux chars d’assaut et aux soldats russes introuvables que l’Otan dénonce constamment, où sont-ils ? Ils rient de bon cœur et nous voilà en route pour un banquet cosaque dans la campagne.

Kiev veut la guerre

Le combattant serbe Dejan Deki Beric, héros de la République populaire qui a déjà reçu dix médailles, partage entièrement les vues des commandants cosaques : la véritable guerre n’a pas encore commencé.

Vingt Serbes, tous possédant beaucoup d’expérience au combat, se battent du côté des brigades du Donbass. Deki revient tout juste d’une mission de reconnaissance secrète, au cours de laquelle il s’est infiltré en territoire ennemi. Sa conclusion : l’ennemi fait entrer de nouveaux soldats, de nouveaux techniciens et plein de nouvelles armes. Minsk 2 est sur le point d’être réduit en pièces.
Deki montre une vidéo absolument poignante de la victoire de la République populaire à l’aéroport de Donetsk maintenant totalement en ruines, tournée à partir de son téléphone mobile. La scène principale (qui n’est pas reprise intégralement sur Youtube) commence par montrer des soldats qui rient, bavardent et fument, puis fait un panoramique montrant des dizaines de corps inanimés et épars de soldats des forces armées de Kiev.

Deki confirme que même avant l’été dernier, Kiev pourrait avoir perdu jusqu’à 20 000 combattants. La majorité absolue des soldats qu’il a vus étaient trop effrayés pour combattre. Dans le chaudron de Debaltsevo, ils n’ont même pas essayé de livrer bataille.

Il y a moins de deux semaines, le premier ministre Iatseniouk, l’enfant chéri de la reine américaine du Nulandistan, Victoria « F**k the EU », n’a pas raté l’occasion de dire que la guerre est inévitable : notre objectif est de reprendre le contrôle de Donetsk et de Lougansk. Bien entendu, une menace aussi importante n’est possible qu’avec l’assurance du soutien total du FMI et de l’Otan, qui forment les tentacules financières et militaires du gouvernement des USA. Le Capitole n’est pas en reste non plus.

L’Otan n’a pas de services secrets comme tels. Son renseignement militaire lui est fourni par des agents américains, britanniques ou allemands. Il est donc manipulé politiquement. C’est ce qui explique pourquoi le docteur Folamour actuellement à la tête de l’Otan, le général Breedlove, appelons-le Follehaine, ne cesse de répéter les mêmes balivernes à propos des colonnes d’équipement russe, surtout des chars russes, de l’artillerie russe, des systèmes de défense aérienne russes et des troupes de combat russes, qui envahissent l’Ukraine à répétition, même si les observateurs de l’OSCE maintiennent n’avoir rien vu. Tout comme l’auteur de cet article d’ailleurs.

Contrairement à l’évaluation des commandants cosaques et de Deki, cette analyse concise soutient qu’aucune des deux parties (l’armée de Kiev ou du Donbass) n’est sur le point de lancer une offensive en règle. Dans l’intervalle, la République populaire de Donetsk s’active sur le front politique. Le ministre des Affaires étrangères Alexander Kofman, qui confirme avoir des discussions politiques avec des membres de certains pays de l’UE, parle de plans en vue d’une réunion d’envergure en mai, qui mènera à la mise en place possible d’une organisation regroupant les nations non reconnues qui pourrait comprendre bien des participants, dont Donetsk et Lougansk, ainsi que la Catalogne et le Pays basque.

Kofman est catégorique. Il préfère l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk à leur annexion à la Russie. Mais avant toute chose, la guerre qui obsède tant Kiev (et Washington) doit cesser.

Russia Today, Le 30 mars 2015.

Traduit de l’anglais pour Le Saker fr par : Daniel, relu par jj

De quoi hurler à Donetsk

À peine revenu de la République populaire de Donetsk en lutte, je me retrouve de nouveau devant l’arrogance et l’insolence de l’Otanistan dans toute sa splendeur.

Plusieurs personnes au Donbass, à Moscou et maintenant en Europe, m’ont demandé ce qui m’a le plus frappé au cours de cette visite.

Je vais commencer par paraphraser Allen Ginsberg dans son poème Howl : J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie.

Ces lignes ont été écrites pendant la Guerre froide, au milieu des années 1950. En ce début du XXIe siècle, nous voilà maintenant plongés dans la Guerre froide 2.0.

Ce que j’ai vu, ce sont les effets secondaires atroces de la folie (guerrière) des plus obtus esprits de ma génération (et de la génération suivante).

Du côté russe de la frontière, j’ai vu des réfugiés, des familles européennes de classe moyenne pour la plupart, dont les enfants, lorsqu’ils sont arrivés pour la première fois au refuge, se cachaient sous les tables dès qu’ils entendaient un avion voler dans le ciel.

J’ai vu le Bob Dylan de Donetsk confiné dans sa chambre isolée d’un centre pour anciens combattants, transformé en abri de réfugiés, qui lutte contre le cafard et le désespoir en fredonnant des chansons qui parlent d’amour et d’héroïsme.

J’ai vu des familles entières terrées dans des abris antiaériens datant de l’ère soviétique tout décorés, qui avaient peur de sortir même en plein jour, parce que les opérations antiterroristes orchestrées par Kiev les avaient traumatisées.

J’ai vu une ville industrielle et industrieuse moderne à moitié vide et partiellement détruite, mais pas soumise, qui arrive à survivre avec courage et abnégation, avec un peu d’aide des convois humanitaires russes.

J’ai vu de très jolies filles passer le temps près de la statue de Lénine à la place centrale, qui déploraient que pour s’amuser, il ne restait que les fêtes de famille chez l’une ou chez l’autre parce que la vie nocturne est morte et que nous sommes en guerre.

J’ai vu pratiquement tout le quartier de Oktyabrski jouxtant l’aéroport bombardé comme Grozny, où il n’y avait personne hormis quelques babouchkas errant çà et là, qui étaient trop fières pour renoncer à leurs photos de famille des héros de la Deuxième Guerre mondiale.

J’ai vu des postes de contrôle qui me rappelaient Bagdad à l’époque du renforcement des effectifs américains par le général Petraeus.

J’ai vu le spécialiste des traumatismes du principal hôpital de Donetsk confirmer qu’il n’y avait pas de Croix-Rouge et pas d’aide humanitaire internationale pour secourir les habitants de Donetsk.

J’ai vu Stanislava, un des meilleurs éléments de la République populaire et une tireuse d’élite experte, qui assurait notre sécurité, pleurer lorsqu’elle a déposé une fleur là où s’est déroulée une bataille féroce, au cours de laquelle les membres de son escouade ont subi des tirs nourris qui ont fait vingt blessés graves et un mort. Stanislava a été touchée par des éclats d’obus, mais elle a survécu.

J’ai vu des églises orthodoxes totalement détruites par les bombardements de Kiev.

J’ai vu le drapeau russe toujours flotter au-dessus de l’immeuble anti-Maidan où siège maintenant le gouvernement de la République populaire.

J’ai vu le stade étincelant du Donbass, où évolue le Shaktar Donetsk, tel un OVNI dans une ville déserte dévastée par la guerre, sans la moindre âme qui vive là où les partisans de l’équipe devraient se rassembler.

J’ai vu la gare de Donetsk bombardée par les brutes de Kiev.

J’ai vu un sans-abri crier Robert Plant ! et Jimmy Page ! et j’ai appris qu’il adorait encore Led Zeppelin et gardait ses copies vinyles.

J’ai vu une rangée de livres qui ne se sont jamais rendus derrière des fenêtres craquelées dans Oktyabrski bombardée.

J’ai vu des tombes fraîches là où la République populaire enterre ses héros de la résistance.

J’ai vu le haut de la colline de Saur-Mogila que les forces de la résistance de la République populaire ont perdue et reconquise, où flotte au vent un drapeau rouge blanc et bleu solitaire.

J’ai vu un Superman surgir des décombres à Saur-Mogila, une statue tombée d’un monument à la mémoire des héros de la Deuxième Guerre mondiale qui, il y a soixante-dix ans, luttaient contre le fascisme ; monument aujourd’hui touché, mais pas détruit, par des fascistes.

J’ai vu le chaudron de Debaltsevo au loin et j’ai pu mesurer pleinement comment, sur le plan géographique, les combattants de la République populaire s’y sont pris pour encercler et prendre en étau les combattants de Kiev démoralisés.

J’ai vu les soldats de la République populaire pratiquer leurs exercices militaires sur la route reliant Donetsk à Lougansk.

J’ai vu le ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Donetsk espérer une solution politique plutôt que la guerre, tout en admettant que personnellement, il souhaite que la République populaire devienne un État indépendant.

J’ai vu deux commandants cosaques durs à cuire me dire, sur une ferme d’élevage de chevaux dans la terre sainte cosaque, que la véritable guerre n’a pas encore commencé.

Je n’ai pas vu l’aéroport de Donetsk totalement détruit, parce que les militaires de la République populaire étaient trop préoccupés par notre sécurité et ne voulaient pas nous délivrer de permis au moment même où l’aéroport était visé, au mépris de Minsk 2. Mais j’ai vu la destruction et une pile de corps de soldats ukrainiens sur le téléphone mobile d’un combattant serbe des forces de la résistance de la République populaire.

Je n’ai pas vu, tout comme les observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe d’ailleurs, des rangées et des rangées de chars et de soldats russes qui, dans les rêves fiévreux du docteur Folamour actuellement à la tête de l’Otan, le général Breedlove, appelons-le Follehaine, envahissent l’Ukraine à répétition.

Je n’ai pas vu non plus l’arrogance, l’ignorance, l’impudence et les mensonges qui défigurent les visages impeccablement soignés de ceux qui à Kiev, Washington et Bruxelles, maintiennent toujours et encore que tous les habitants du Donbass, y compris les babouchkas et les enfants de tous les âges, ne sont rien d’autre que des terroristes.

Ces trouillards qui sont les purs produits de la civilisation occidentale, jamais ils n’oseront montrer leurs visages impeccablement soignés à la population du Donbass.

Voici donc le cadeau que je leur offre.

Un hurlement de colère et mon mépris sans borne.

Asia Times, le 31 mars 2015

Le Donbass peine à se relever, l’Europe fait honte

Me voici sur une terre sacrée au Donbass, qui était aussi une terre sacrée à l’époque de l’Union soviétique. Du haut de cette colline se trouvant à peu près à mi-chemin entre Donetsk et Lougansk, s’érigeait un monument à la mémoire des héros de la Deuxième Guerre mondiale qui ont défait le nazisme et le fascisme.

Dans le cadre de ce qu’il appelle ses opérations antiterroristes, Kiev, qui continue de diaboliser toute la population du Donbass, a tout mis sens dessus dessous. L’an dernier, les forces de Kiev ont pris Saur-Mogila et bombardé tout le monument. Les forces armées des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ont repris la colline depuis, non sans peine. Aujourd’hui, le drapeau rouge, blanc et bleu de la résistance, qui flotte au vent, domine le paysage.
Le sommet de la colline à Saur-Mogila

En montant la colline, je suis tombé accidentellement sur une vision aussi nette qu’éloquente de la guerre civile en cours en Ukraine, théâtre à échelle réduite de la Guerre froide 2.0, cette confrontation géopolitique par procuration à laquelle se livrent les USA et la Russie et qui ne fait pas de quartier.

Une des statues du monument, qui représente un héros de la Deuxième Guerre mondiale, est en fragments, mais pas détruite. Son torse déchiré surgit du sol. Soixante-dix ans après la victoire contre le nazisme et le fascisme, la statue a failli être réduite en poussière par les forces de Kiev, alliées à des éléments nazis et fascistes qui les ont aussi infiltrées. L’Europe, qui refuse de voir ce qui se passe vraiment dans ses régions frontalières orientales, fait de nouveau preuve d’une insensibilité extraordinaire.
Un dirigeant de la République populaire de Donetsk suggère que les troupes de Kiev ont abandonné leurs armes à Debaltsevo (AP Photo/Effrem Lukatsky)

Du haut de la colline, j’ai fini par obtenir une perspective géographique complète des batailles de l’été dernier. Au loin en direction du nord-est, se trouvaient les forces armées du chef fasciste du Secteur droit Dmytro Yarosh. La Russie se trouve à droite.
Le chaudron de Debaltsevo (trois chaudrons en fait), où les forces de Kiev ont été encerclées, prises en étau et détruites par la résistance, se trouve au nord-ouest, à 40 kilomètres de distance. Les habitants de Donetsk disent qu’il pourrait y avoir eu au moins 10 000 morts du côté de Kiev pendant toute la durée du siège.

« Leurs enfants seront terrés dans des caves »

Saur-Mogila représente une grande victoire militaire pour le Donbass. Mais ce qui importe le plus pour les simples citoyens, c’est la situation humanitaire, qui demeure grave. Le médecin en chef spécialiste des traumatismes de l’hôpital général de Donetsk m’a assuré que l’aide de la Croix-Rouge ou de la communauté internationale n’a jamais atteint la ville.
L’UE devrait s’intéresser à la crise humanitaire en Ukraine avant de s’occuper de réformes constitutionnelles (Reuters/Shamil Zhumatov)

Après tout, pour les bureaucrates corporatistes manucurés de Washington et Bruxelles, les habitants du Donbass sont tous des terroristes, conformément au scénario préparé par Kiev, qui sort tout droit de l’ère Debeliou Bush dominée par les néocons.

L’Occident, ô combien civilisé, mais peu enclin à tirer des leçons de l’histoire, devrait plutôt s’attarder davantage à la valse des oligarques à Kiev qui, telles des araignées dans une bouteille, ne présentent qu’un simulacre de démocratie en ces temps orwelliens.

Voici comment l’oligarque théoriquement à la tête de l’État (il ne l’est pas ; ce rôle revient à la CIA et au département d’État des USA), Petro Porochenko, traite toute la population du Donbass : Nos enfants iront à l’école et à la maternelle, tandis que leurs enfants seront terrés dans des caves !

Ce sont là les paroles du dirigeant d’un État (en déliquescence) aspirant à rejoindre l’Union européenne qui, c’était prévisible, regarde ailleurs.

Des gens terrés dans des caves, c’est ce que j’ai vu à Donetsk (ça aussi c’était prévisible), dans des centres pour anciens combattants transformés en refuges et dans des abris antiaériens de l’ère soviétique avec toute l’iconographie de l’époque peinte sur les murs. Des familles entières, des vieillards, des gens qui n’osent même pas sortir en plein jour et des dizaines de bébés, enfants et adolescents traumatisés.
40% des Ukrainiens sous le seuil de pauvreté (Sputnik/Mikhaïl Voskrenzensky)

D’après Iskander Sultan, un coordonnateur de groupes formés de bénévoles basé à Moscou, pas moins de deux millions de réfugiés auraient quitté le Donbass au cours de la dernière année. Au début des années 2000, quatre millions de réfugiés afghans avaient fui les talibans.

D’autres ont décidé de rester, notamment les retraités dont les pensions, gelées par Kiev, leur seront de nouveau versées par les deux Républiques populaires (leur parlement compte 60 membres ; 30 de Donetsk et 30 de Lougansk, qui travaillent en étroite collaboration).

Vu de Donetsk, le sort de tant de familles de la classe ouvrière et de la classe moyenne inférieure, qu’on pourrait aussi bien retrouver à Manchester, Lille, Bologne ou Valence, qui ont été déplacées par une guerre par procuration qu’elles n’ont jamais voulue, qui sont diabolisées en bloc comme des méchants terroristes, qui sont menacées de déportation et complètement ignorées par l’Occident, ô tellement civilisé, est tout aussi ahurissant que l’arrogance et l’ignorance crasse du discours civilisé, qui ne voit en Ukraine qu’une lutte sans merci entre les bons démocrates de Kiev et les méchants rebelles contrôlés à distance par la Russie.

La population civilisée n’est au courant de rien, parce que les médias institutionnels occidentaux ne sont pas autorisés à l’informer. À Donetsk, en revanche, l’avenir du Donbass est amplement débattu. Certains favorisent l’établissement d’une région autonome au sein de l’Ukraine (sauf qu’ils reconnaissent la minute suivante qu’après le massacre d’Odessa en mai dernier et avec cette junte à Kiev qui les traite de terroristes, cela n’arrivera jamais). D’autres préfèrent l’annexion à la Russie (sauf qu’ils reconnaissent la minute suivante que ce serait un fardeau que Moscou ne devrait pas endosser).

Dans l’intervalle, c’est la lutte pour la survie qui prime. Primorka (terre à l’orée de la mer), qui borde la mer d’Azov dans la région de Rostov, est l’un des camps de réfugiés de l’est de l’Ukraine en territoire russe. Il abrite actuellement 246 personnes, y compris 51 enfants qui vont à l’école et trois nouveau-nés. La plupart des réfugiés sont âgés, proviennent surtout de Donetsk, n’arrivent pas à trouver du travail, mais rêvent de retourner chez eux. Une des familles est même parvenue à sortir du chaudron de Debaltsevo.

Le lieu a déjà été un camp d’été pour les enfants, qui a fermé il y a quelques années. Sa réouverture est due à l’initiative d’un simple citoyen, Alexander Dobrovolsky, qui a vendu son appartement pour financer l’opération. Au départ, Primorka comptait plus de 1 300 réfugiés. Le camp a depuis fini par obtenir une aide financière municipale et fédérale.

Parmi les chiens errants se promenant dans le camp très propre et bien entretenu situé juste au bord de la mer, il y en a un qui s’appelle Obama. Un autre s’appelle Yats. Il y avait aussi un chien qui s’appelait Porochenko, mais il est mort il y a deux semaines.

Sputnik, le 31 mars 2015

* Pepe Escobar est un journaliste brésilien de l’Asia Times et d’Al-Jazeera. Pepe Escobar est aussi l’auteur de : « Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War » (Nimble Books, 2007) ; « Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge » ; « Obama does Globalistan  » (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books, 2014)

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