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6 février 2015

L’Euroatlantide et le principe d’autorité

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Ce sont à la fois le défi et la crainte de voir l’exemple se propager qui expliquent et relient entre elles les mesures de force employées contre la Grèce dans la zone euro, et contre la Russie en Ukraine.

Les deux conflits majeurs qui ébranlent aujourd’hui l’Europe, en Ukraine et en Grèce, sont reliés entre eux car ils défient tous deux le principe d’autorité. L’Europe est un ensemble de nations qui n’ont pas la même qualité démocratique ni le même PNB ; un ensemble composé de nations ayant une longue histoire de domination sur d’autres nations, aussi bien à l’intérieur du continent qu’en-dehors. Dans ses relations intérieures et extérieures, le principe d’autorité et d’obéissance est supérieur et antérieur à toute velléité de démocratie. Porter atteinte à ce principe implique que l’on soit punit. Une punition exemplaire, justement pour éviter que l’exemple ne se propage. C’est ce qui se passe.

En Grèce, la population a porté au pouvoir un gouvernement avec pour mandat de changer la politique d’austérité qui a dévasté le pays au cours des cinq dernières années. Ce gouvernement propose un « nouveau contrat » économique pour l’ensemble du continent, car ce n’est pas uniquement la Grèce qui souffre de la publicisation des pertes bancaires transférées aux citoyens.

Le simple fait d’avancer cette proposition a été perçu comme un défi intolérable par les centres décisionnels de la politique économique européenne : la Banque Centrale Européenne, le Ministère des finances allemand, les grands fonds d’investissement, la Bundesbank, la Commission européenne, les agences de notation ou encore le Fonds Monétaire International. Aucun d’eux n’a été élu et certains ne sont même pas « européens ». La réponse naturelle de ce conglomérat à la proposition grecque ressemble davantage à une punition qu’à un dialogue. C’est le cas de la dernière décision punitive de la Banque Centrale Européenne de priver la Grèce de l’un des canaux de financement des banques grecques.

Après Syriza, il y a Podemos en Espagne, la gauche au Portugal, le Sinn Fein en Irlande… La série est ouverte. Les conséquences, au cas où d’autres pays - en Europe de l’Est, en Italie et y compris en France - feraient usage de leur souveraineté nationale et instaureraient un « nouveau contrat » européen, seraient fatales pour l’ordre établi. La fameuse perspective de 1848 d’un « printemps européen des peuples ». Il faut punir pour que l’exemple ne se propage.

En Ukraine, le défi déterminant n’est pas celui de Kiev à Moscou, mais celui que la Russie a lancé à l’Euroatlantide. Pour la première fois, une puissance régionale a répondu par des mesures de force à l’avancée de l’OTAN dans son environnement immédiat. Après l’Ukraine, il ne reste plus d’espace, aussi la Russie a répondu au changement de régime atlantiste à Kiev en s’appropriant illégalement la Crimée (sorte de Kosovo à l’envers, mais sans l’expulsion des 200 000 Serbes, gitans et autres, et sans avoir recours à la guerre) et en soutenant le Maïdan des Ukrainiens russophiles de l’Est de l’Ukraine.

Le défi lancé par la Russie n’est pas dirigé contre le gouvernement de Kiev, mais contre ses parrains euro-atlantiques qui, au cours des 20 dernières années, ont ignoré les intérêts de Moscou en matière de sécurité et aussi les accords internationaux et militaires signés ou promis à la fin de la guerre froide. Pour la Russie, il est impossible de faire machine arrière sans risquer une désagrégation non pas seulement du régime de Poutine, mais probablement aussi de l’Etat russe. La traduction en anglais des Etats-Unis donnerait : il s’agit d’un conflit à la frontière avec le Mexique qui porte atteinte non seulement à la stabilité de la présidence d’Obama, mais aussi du Pentagone, de la CIA et de Wall Street, voire même à l’indépendance du Texas et de la Californie.

L’attitude de cette Russie acculée, qui se défend militairement, crée un précédent pour tous les BRICS. Si l’attaque occidentale est militairement stoppée à Donetsk et en Crimée, que penseront les Chinois, les Latino-américains, les Iraniens et même de nombreux Européens de ce principe impérial d’autorité ?, s’inquiète Washington.

Aussi bien en Grèce qu’en Ukraine, c’est l’exemple que l’on veut conjurer, l’obsession de l’effet domino. Le but recherché, c’est de punir : de tels comportements ne doivent pas se reproduire. La fourniture d’armes à l’Ukraine par les Etats-Unis est la réponse autoritaire du Pentagone qui est en résonance avec les mesures de la BCE à l’encontre de la Grèce.

Le problème est que si le principe d’autorité est appliqué au-delà du raisonnable, alors il peut avoir des conséquences catastrophiques. Dans le cas de l’Ukraine, il s’agit du danger d’une grande guerre. Dans celui de la Grèce, le danger est la désintégration de la zone euro ou la division de l’Union européenne en deux catégories. Les connexions sont ici évidentes.

L’Euroatlantide applique déjà en Ukraine la même politique d’austérité qui a fait se lever le peuple grec : réduire la taille de l’Etat, supprimer des subventions vitales pour l’agriculture et l’énergie… Mais comparée à l’Ukraine la Grèce ressemble à une Suisse pacifique et stable. Le malaise social ukrainien - ou russe - ne s’exprimera pas comme le grec au travers de grèves générales et d’élections. L’Ukraine est un pays en construction, avec une tradition de chaos et de désordre sans pareil en Europe, et avec des querelles internes (et armées) au sein même du gouvernement de Kiev qui peuvent facilement dégénérer en conflit social sanglant.

Pour l’instant nous avons à l’Est du pays 5 000 morts et 450 000 réfugiés. Nous sommes encore loin d’une deuxième Yougoslavie, et même de certaines conséquences plus globales, mais nous nous en approchons. En laissant de côté la diplomatie et le dialogue et en chevauchant le principe impérial d’autorité qui régit, à l’intérieur comme à l’extérieur, les relations internationales de l’Euroatlantide, nous irions très rapidement droit au désastre.

Titre original : « Le principe d’autorité »

Rafael Poch pour La Vanguardia

La Vanguardia. Barcelone, 5 février 2015.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de : Marie-Rose Ardiaca.

El Correo. Paris, 6 février 2015.

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