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5 juin 2011

L’Amérique du Sud face à la tourmente mondiale.

par Raúl Zibechi *

 

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La guerre pour la succession du directeur du FMI révèle à quel point le monde a changé et à quel point ses élites sont trop figées, disposées à s’accrocher à leurs privilèges même au risque de pousser la planète au bord de l’abîme. Pour l’Amérique du Sud, c’est le moment de garantir l’unité régionale ou de marcher vers la désintégration.

Le débat en cours sur la succession de Dominique Strauss Khan nous enseigne comment les puissances du Nord cherchent à figer le monde de 1944 quand les accords de Bretton Woods ont été signés et que le Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont été créés. A cette époque, le PIB des États-Unis représentait environ 50 % du PIB mondial et a cors de cette décennie il a baissé en dessous de 20 %.

Le Nord semble disposé à passer par dessus la demande des pays émergents. Le Brésil a dit, par la voix de son ministre des Finances Guido Mantega, que le candidat devrait être désigné seulement jusqu’à la fin 2012 pour ainsi « avoir plus de temps pour mûrir la succession ». Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque Centrale de Chine, a remarqué que le FMI doit « refléter mieux les changements dans la composition économique mondiale et les marchés émergents » (Le Quotidien du Peuple, le 24 mai).

Au-delà des discours destinés au grand public, les élites mondiales prennent conscience de ce qui est en jeu, malgré les déclarations et les jongleries des hommes politiques. Quand elles parlent pour « leur » public, elles ne cachent pas la moindre réalité. C’est le cas de David Wessel, éditorialiste du The Wall Street Journal, le quotidien le plus proche de la haute finance. Il commence sa colonne hebdomadaire du 19 mai avec une phrase qui résume l’articulation historique que nous traversons : «  Les empires n’ont pas l’habitude de succomber d’un jour à l’autre. Les vieilles puissances n’abdiquent pas leurs privilèges. Et celles qui montent ne réussissent pas à exercer agilement le pouvoir  ».

Wessel remarque que l’usage selon lequel un Européen dirige le FMI et un Etasunien la Banque mondiale, « est une tradition archaïque, voire illégitime », conséquence de ce que les institutions globales « ne se sont pas adaptées encore au poids des pays émergents » puisque l’Europe et les États-Unis sont réticents à accepter « un monde qu’ils ne dominent plus ». Selon son opinion il y a deux scénarios possibles devant nous. L’un avec une fin heureuse, où les grandes économies coopèrent mutuellement sans que les pays développés ne gênent l’ascension des pays émergents. Ce serait le meilleur pour le marché.

Le deuxième scénario, répète avec ampleur ce qui s’est passé durant la première moitié du XXe siècle : « Les décennies postérieures à la Première Guerre mondiale ont été marquées par l’incapacité des puissances en décadence et celles en ascension de stabiliser l’économie mondiale et de créer des institutions fonctionnelles ; le résultat fut la Grande Dépression et la Deuxième Guerre ».

L’unique nouveauté de cette analyse est le journal où elle a été publiée, ce qui révèle que les élites financières préfèrent une « fin heureuse » et qu’elles savent qu’une nouvelle hécatombe militaro-humanitaire ne serait pas capable de faire reculer la flèche du temps. Mais les élites financières ne jouent pas seules, pas même dans les salons du grand pouvoir, où elles vivent avec les hommes politiques et les militaires, avec qui elles ont des relations étroites et des interdépendances mutuelles.

Les uns et les autres savent que le dernier pronostic du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique, dans son bulletin mensuel du 17 mai [Alerte Majeure pour le second semestre 2011], n’est pas une prévision de lunatiques mais l’avertissement de l’institut qui a pointé avec une très grande précision la chaîne des événements qui se déroulent depuis 2007 : «  toutes les conditions sont désormais réunies pour que le second semestre 2011 soit le théâtre de la fusion explosive des deux tendances fondamentales qui sous-tendent la crise systémique mondiale, à savoir la dislocation géopolitique globale, d’une part, et la crise économique et financière globale, d’autre part ».

Le catalyseur de cette « fusion explosive » est le système monétaire international, « ou plutôt le chaos monétaire international qui s’est aggravé encore plus depuis la catastrophe qui a affecté le Japon en février ». Pour cette raison, la bagarre pour le pouvoir au sein du FMI n’est pas gratuite, mais l’un des révélateurs principaux de l’importance de qui est en jeu. C’est l’architecture maîtresse du system-monde, ou bien la relation centre-périphérie, qui est en question. Il s’agit d’une relation avec cinq siècles d’ancienneté, antérieure même au capitalisme et aux révolutions industrielles qui a rendu possible l’hégémonie de l’Occident qui vire maintenant vers l’Asie et vers le Sud. Du point de vue historique, c’est encore un plus grand tremblement de terre qu’une improbable crise du capitalisme.

Il se trouve que ce monde émergent commence à marquer le terrain. L’alliance BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) exige que si le FMI veut avoir une crédibilité et une légitimité, il doit accepter une représentation plus adéquate des pays émergents, pas seulement des cinq mentionnés. « Le prochain directeur ne doit être pas seulement une personne hautement qualifiée, avec des solides connaissances techniques et ne capacité d’articulation politique, mais s’engager à continuer le processus de changements et de réforme de l’institution pour s’adapter aux nouvelles réalités de l’économie mondiale », remarque le communiqué qui rejette une élection sur la base de la nationalité.

Pour les pays sudaméricains, le moment est propice pour approfondir l’unité mais est à son tour rempli de risques. L’inauguration du Centre d’Études Stratégiques de la Défense de l’UNASUR, le 26 mai à Buenos Aires, montre bien que le chemin de l’intégration et de l’unité politique continue malgré la formation de l’Alliance du Pacifique (Mexique, Colombie, Pérou et Chili) ces dernières semaines. C’est une bonne nouvelle à un moment où le clan Fujimori peut entrer au pouvoir au Pérou, alors que plusieurs projets stratégiques comme la Banque du Sud stagne et d’autres, comme le Gazoduc du Sud, semblent avoir été classés.

La crise dans le FMI, comme révélateur de la profondeur de la crise systémique, enseigne que les temps s’accélèrent et que le défi de positionner la région sudaméricaine sur la scène globale ne peut attendre des temps meilleurs : il aura lieu au milieu de la tourmente ou n’aura pas lieu.

* Raúl Zibechi, journaliste uruguayen, est professeur et chercheur à la Multiversidad Franciscana d’Amérique Latine, et conseiller de plusieurs organismes.

Alai-Amlatina. Équateur, le 29 mai 2011.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

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El Correo. Paris, le 5 juin 2011.

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