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13 juillet 2017

Insécurité, une analyse urgente dans le contexte mondial actuel

« Pires nous sommes, pires vont être les discours de la peur »

 

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Comment un policier se construit. De quelle manière opère l’institution policière sur ses membres pour réveiller la « vocation » et pour créer cet « autre » qu’ils devront contrôler et réprimer. Une analyse qui dans le contexte mondial actuel devient urgente.

« Cómo se construye un policía. La federal desde adentro  » [Comment un policier se construit. La police fédérale depuis l’intérieur]. C’est ce que Mariana Galvani a étudié, et c’est ainsi que s’appelle son dernier livre publié chez Siglo Veintiuno. Déjà, dès le titre, son travail donne des clés importantes pour réfléchir à ces forces de sécurité, qui se transforment en clefs pour réfléchir à la société dans sa totalité, ce qui dans le contexte actuel devient urgent. Tout d’abord, justement, l’idée de construction de cette force, que ce docteur en Sciences sociales développe avec une grande précision, soulignant les découvertes théoriques fruits d’un travail de recherche qui de plus de vingt ans.

La vocation comme une réussite de l’institution policière sur les policiers, qui finissent par l’intégrer dans leurs récits de la vie comme une vérité propre. La construction des « autres » sur lesquels doit agir la police que Galvani reconstruit de façon historique, depuis les « feignants et malfrats » – les gauchos – et les anarchistes et les terroristes du XIXe siècle. Ce qui signifie « défendre la société ». La manière dans laquelle les « héros » et les « martyrs » sont créés à l’intérieur de la police, catégories auxquelles l’auteur arrive après avoir analysé la liturgie institutionnelle autour de la mort. Un passé idyllique (que l’enquête démontre inexistant), qui viendrait d’un ascendant moral de la police, sur lequel s’ érige son idée du « respect ». Comment la police peut, au nom de la loi, suspendre la loi. Ce sont quelques uns des sujets de l’actualité urgente que Galvani développe, et qu’elle soutient avec une enquête fournie.

Galvani a commencé à étudier la police dans les années 90, quand le sujet, comme elle l’explique dans son livre, était entrain d’émerger, et s’avérait une bizarrerie pour les sciences sociales. Elle s’y est intéressée, au départ, par curiosité. Ou, plus précisément, en cherchant à comprendre « pourquoi quelqu’un devenait policier ». « Je trouvais intéressant de savoir pourquoi ces autres personnes lesquelles elle considérait comme les ’autres’ décidaient d’entrer de la force. À l’origine je voulais comprendre pourquoi quelqu’un affrontait sa propre classe : non parce que je considérais qu’il s’agissait de l’unique secteur qui va contre ses propres intérêts, bien sûr, mais parce que d’évidence, cet affrontement apparaît à la police avec moins de médiations », remarque la chercheuse.

« Bien sûr il a fallu que cette question posée par le bon sens commun devienne une question ‘universitaire’, en se détachant peu à peu des préjugés et en commençant à se doter de jugements fondés sur l’investigation scientifique », se souvient la chercheuse, qui définit le sens ultime de son travail : « Pour transformer toute chose, il est nécessaire avant tout de la connaître. Et je comprends que les sciences sociales tiennent un rôle fondamental dans la compression des forces de sécurité. Sans cette entente, toute modification est impossible ».

Vous parlez des « préjugés » dont vous avez du vous détacher. Lesquels, par exemple ?

Je suppose que le premier a été de comprendre que le « gène policier » n’existe pas, que personne « naît » pour la police, que ce n’est même pas un choix idéologique, comme je pouvais le supposer au départ. Au-delà des exemples individuels, ce qui est observé, dans la majorité des cas, c’est que « devenir policier » implique une option de travail parmi d’autres que l’institution ensuite transformera en vocation. Si vous pensez seulement qu’un policier peut commencer à étudier seulement avec le niveau secondaire, que pour cela on lui propose une bourse et que cela signifie recevoir en échange une rémunération supérieure à celle d’un boursier du Conicet [CNRS argentin] qui a un titre universitaire et qui doit être accepté dans un troisième cycle, et qui à la sortie n’a aucun s’assurance de travail… Et oui, c’ est assez logique que ce choix soit vue, avant tout, comme un bon travail possible.

Depuis cette logique, un policier est alors, avant tout, un travailleur. Cependant, il est rarement défini dans ces termes là…

Il me semble important d’envisager les policiers comme des travailleurs de l’État. Cela permet de les comprendre en déployant un travail spécifique, et en même temps de visualiser quels droits aujourd’hui les policiers n’ont pas et qu’ils devraient avoir. Le droit d’être syndiqué, par exemple. En pensant au contrôle politique de la force, ce droit participerait aussi à ce que le gouvernement – l’État – sache ce qui se passe dans la force, pas seulement à travers de la voix de ses chefs. Cela lui donnerait, en dernier ressort, plus d’outils pour « gérer » ou « contrôler » les forces, pour dicter des politiques et des linéaments, depuis la nécessaire conduite politique extra institutionnelle.

Et le policier, selon ses observations : se pense lui même en tant que travailleur ? Avez-vous fait des recherches sur le sujet de la syndicalisation ? Qu’est-ce que les policiers pensent ?

Les policiers se perçoivent rarement comme des travailleurs dans leur activités quotidiennes, mais quand c’est le cas, ou quand l’on recherche dans des certains aspects, le sujet de la syndicalisation apparaît. je ne dirais pas que tous veulent être syndiqués, bien que je pense que, surtout ceux qui appartiennent aux niveaux hiérarchiques inférieurs, aimeraient discuter de plusieurs questions concernant leur travail. Prenons en compte qu’un syndicat , par les caractéristiques mêmes de ses fonctions, s’oppose à l’obéissance due. Qui est en même temps un trait qui fait partie de la police elle-même. Alors l’idée de la syndicalisation présente quelques paradoxes, qui devraient idéalement être compris comme des défis, et qui selon ma façon de voir pourraient ouvrir plusieurs possibilités de démocratisation dans les forces : s’il dispose d’un syndicat, un policier pourrait s’opposer à un ordre injuste, par exemple, quelque chose qu’aujourd’hui, telle qu’existe la structure hiérarchique dans l’institution, est pratiquement impossible. Le jugement récent de la Cour suprême contre la syndicalisation de la Police de Buenos Aires, ferme toute possibilité sur ce point.

Dans votre livre, vous analysez toute la liturgie que l’institution déploie autour de la mort, et concluez que cela a à voir avec le renforcement de la fonction policière. Pourquoi ?

La police remplit une fonction négative. Ceci ne veut pas dire non productive, mais sa fonction est, basiquement, celle de réprimer. Et l’effort constant que l’institution fait est de positiver cette fonction. À travers des rituels institués, la mort accomplit un rôle dans ce positivisation. La mort comme possibilité (être mort et donner la mort aux autres d’une manière légale), est une caractéristique distinctive du travail policier. Ce que fait l’institution, c’ est de présenter tout le temps seulement le côté de la police : la deuxième acception, celle de donner la mort aux autres, est gommée. Dans cette construction toute une série de rituels se déploie autour de la mort qui renforce l’esprit de corps : on assiste à des rituels funéraires, on rend hommage de différentes manières aux « morts dans l’accomplissement du devoir », l’idée de la mort s’affirme comme constante, y compris devant ceux qui de par leurs fonctions ne seront jamais exposés à cette possibilité. La mort devient un sacrifice pour la société, qui de plus ne comprend pas le policier. C’est une mort incomprise par ceux que l’on défend. De cette façon, ce que fait la mort transformée en martyre, c’est de doter d’une aura une fonction qui est en principe négative, et de la tourner, de cette façon, en positive.

Vous parliez avant d’une « conversion de vocation » de la part de l’institution. Comment cela s’opère t-il ?

Quand il s’agit d’une profession qui agit sur des personnes (comme celle des enseignants, des travailleurs sociaux, des médecins, des infirmiers), on a recours à un principe plus élevé pour sa réalisation liée non au travail, mais à un objectif supérieur. L’institution interpelle depuis ce point de vue les policiers dès le premier jour de classe. « Avoir une vocation » devient une valeur, de telle manière qu’exercer le travail, dans ce cas, n’est pas de vendre simplement sa propre force de travail. C’est la même construction que nous voyons ces jours derniers comme réponse à la demande d’augmentation des salaires des enseignantes. Donc, la première « réussite » de l’institution, est de transformer le travail en un fait vocationnel. Et à partir de là chaque policier va lire son histoire, comme un acteur qui attribue des pratiques infantiles à une vocation naissante (se déguiser, par exemple). De cette façon les policiers commencent à lire leur histoire en mode vocation : depuis gosse j’aimais la justice, depuis gosse je jouais aux policiers… Cependant, quand on recherche les causes qui ont motivé son entrée à l’école, ce qui ressort n’est pas une vocation, mais, clairement, une option très concrète et matérielle pour un type de travail qui se présente comme le meilleur et, dans certains cas, l’unique possible.

Quelles autres « découvertes » vous ont surprise tout au long de ces années de recherche ?

Une trouvaille que je décris dans le livre, et que nous développons avec ma collègue Karina Mouzo, est celle du « fou » : une figure que nous trouvons dans l’institution et qui sert à implanter la loi, en la suspendant. Le fou est celui qui se risque, qui est disposé à tout : à coller, à courir, à affronter … C’est presque toujours une figure gardée, à laquelle on fait appel quand on en a besoin. Il est utile par sa disposition à l’action, et aussi utile quand il est visualisé, parce que l’institution se disculpe avec le fou : cela ne fut pas l’institution, ce fut le « fou »… De cette façon, il semble doublement fonctionnel.

Que vous considérez –vous qu’ à partir des sciences sociales et de ce type d’investigations, on puisse apporter au « grand thème national » de la sécurité ?

Les sciences sociales ont l’obligation de reconsidérer la sécurité. Comment ? en déconstruisant, justement, les liens qui ont été tissés autour de comment penser la sécurité. Il me semble que dénaturaliser ces sens est un pari fondamental pour sortir des demandes punitives qui aujourd’hui sortent tout côté.

Effectivement ces demandes aujourd’hui se multiplient : baisse de l’imputabilité, « main dure », « mauvais juges » … : Ces discours ont-ils plus de chances d’émerger dans des contextes politiques et économiques d’ajustement ?

Oui, je crois que la construction de « l’insécurité » est directement liée à la mise à l’écart la population en surplus. Il y a des personnes qui ne comptent pas et qui ne s’intègrent pas depuis des générations au marché du travail, ce n’est même plus une armée de réserve, ce sont ceux qui ne vont pas entrer. Ce que font ces discours, c’ est de demander la séparation de cette partie de la population. Et pire nous serons pires vont être ces discours de la peur. C’est ce que je nomme « la peur canalisée » : la peur de tes paires. Ils te disent que ta peur est qu’on te vole, et aussi ils t’offrent des solutions pour chaque type de vol qu’ils te proposent. Et si un ado te vole, alors ils te disent qu’il faut demander que les ados aillent en prison. Personne ne peut soutenir que la prison va convertir les enfants en personnes meilleures … ni les adultes. La solution punitive n’est pas une solution, c’est la mise en génétique de la société, c’est mettre les autres de l’autre côté du mur. Il me semble que les sciences sociales ont à éclairer ces aspects, bien que parfois cela soit inconfortable. Parce qu’il est plus facile de demander plus de prison que d’analyser ce qui se passe dans la société.

Vous parlez d’une « construction de l’insécurité ». Comment cela se passe t-il ?

La sécurité est restée liée à son manque : l’(in) sécurité. Et, de cette façon, au délit, plus précisément, au petit délit. C’est à partir des années 90 que s’installe ce paradigme de l’insécurité, et que d’autres insécurités ont été laissées de côté. Pour donner un exemple concret : si je convoque ce terme, « insécurité », le lecteur ne se met pas à penser aux travailleurs licenciés et délogés des entreprises en grève, ou aux enseignants qui sont allés manifester et qui ont reçu des coups de matraque et du gaz lacrymogène. Là, il y a un sujet de sécurité du travail et du droit à manifester qui est transgressé. Le lecteur ne va surement pas non plus penser au délit de col blanc, à Cavallo [Ministre de l’économie argentin néolibérale] et à l’étatisation de la dette privée … Non, il va penser au vol d’un portable, à toutes sortes de vols, à un enlèvement, parce c’ est là qu’ est restée fixée l’idée d’« insécurité ». Penser à un délit qui te nuit à toi dans l’immédiat, alors qu’on est certain que les grands délits t’ont nui davantage en termes d’écoles et d’hôpitaux non construits, sous la forme de la dette que toi et tes enfants continueront à payer pendant des générations... Et avec l’insécurité, arrive la peur.

La « peur canalisée »…

C’est ainsi. on construit des autres de qui nous leur avons peur, des autres qui sont là, aux aguets, cachés, attendant … Et cette peur ne nous permet pas de penser. Plutôt je dirai (et il y a des auteurs qui l’ont bien analysé) que l’insécurité nous met la peur : elle convertit la peur en quelque chose de fonctionnel au système. Ils nous expliquent de qui nous avons à avoir peur (les médias sont de grands explicateurs) : des « mineurs », des jeunes, des « basanés », de celui encapuchonné et à casquette… de tous ces « autres ». Et peut-être que cette peur que tu avais à rester sans travail, à ne pas avoir de sécurité sociale, de mourir dans un accident de la route… ces peurs s’effacent à cause de cette peur de l’autre, de celui qui est resté en dehors du système productif. Et les solutions à ces peurs sont des grandes affaires liées à la sécurité : des caméras, des boutons anti panique, et des policiers, plus de policiers... Ainsi, ils te donnent une peur, et une solution.

Vous avez récemment mentionné la répression contre les enseignants. Des versions ont circulé sur les supposées attitudes de désaccord parmi les policiers qui ont participé face l’ordre donné de réprimer les manifestations. Sur la base de votre expérience en tant que chercheur, et au-delà de ce qui a été réel ou non : croyez-vous que cela est possible, c’est-ce vraisemblable ?

Cela me semble vraisemblable, oui. Il est possible que plusieurs de ces policiers n’aient jamais eu à faire face à une manifestation ; il peut y avoir des garçons qui sont entrés il y a dix ans et qui n’ont jamais eu à le faire. Il faut se souvenir que le gouvernement précédent s’est beaucoup appuyé sur la Gendarmerie et moins sur la Police Fédérale Argentine (PFA), c’est pourquoi je dis que cela est possible. Et aussi que cette police n’aime pas l’idée de réprimer une manifestation des enseignants. Malgré la construction médiatique et politique [de Macri] autour des enseignants comme ennemis, il est possible que cela n’ait pas pris chez tous les policiers, et que cela ne leur semble pas un travail agréable et bien vu. Je reviens à une question précédente : pour exprimer un désaccord, un syndicat servirait aussi. En tout cas il doit reste clair que c’est n’est pas la police quei réprime, c’est l’État qui le fait à travers la police.

Vous parlez aussi dans le livre du double standard qui est exigé du policier : d’un côté on lui demande de « nous protéger » à tout prix ; d’un autre côté qu’il respecte les garanties constitutionnelles. C’est quelque chose que les policiers disent eux mêmes, sous forme de plainte, mais qui est vérifiable dans la réalité. Comment et pourquoi cette contradiction ?

Il me semble que la figure du « fou » nous l’appliquons aussi, en tant que société, à la police. C’est-à-dire nous disons aux mêmes « protégez-nous » et nous leur demandons une sévérité maximale pour en finir avec nos peurs. Et quand les policiers agissent, en haïssant les mêmes que nous (mais avec la légitimité que l’État leur donne pour exercer la force), nous dénonçons qu’ « ils dépassent les bornes ». C’est-à-dire ils nous servent pour enlever la responsabilité de l’État et de la société, ils fonctionnent comme le « fou ». Nous pouvons leur ordonner de réprimer, et après nous pouvons dire : ce n’était pas nous, c’était la police.

Bien que votre livre ne touche pas la question, la nouvelle Police de la Ville a introduit un grand changement. Est-il vrai qu’il n’y a pas de prestige parmi la force de l’ordre ?

Le prestige est une question qui s’est construite avec le temps. Et il me semble que le sujet de la cession de l’Etat à la Ville a été soldé par les salaires : après avoir maintenu la caisse prévisionnelle et après avoir offert le double de ce qu’on paierait dans la Fédérale avec le même grade, on a évité les conflits qui étaient prévus à l’époque. Alina Ríos traite très bien le sujet de la cession genealogiqueament, la lie à une discussion historique qui relève de formation de la Ville de Buenos Aires et des caractéristiques que celle-ci doit avoir comme État souverain, entre celles-ci, d’être le soutien de la violence légitime.

Pendant des années vous vous êtes entretenue avec beaucoup de policiers, dans différentes situations et contextes, vous avancez dans le livre que cela n’a pas pu être à travers des demandes formelles mais par des entretiens autogérés. Vous vous rappelez d’une anecdote ?

Plusieurs. Il y a des récits et les phrases des policiers eux-mêmes qui pourraient servir à écrire des livres entiers. Je me rappelle un commissaire qui est arrivé à cette conclusion : « Est-ce que je comprends les droits de l’homme … Mais les voisins non ». Un autre qui disait que, s’il se mettait à voir et à analyser un problème social chaque fois qu’il rencontrait un délit, alors il devait s’arrêter de travailler. Par une autre voie, ce policier est arrivé à la même conclusion : nous avons besoin de solutions sociales aux problèmes sociaux. Nous avons besoin de plus et de meilleurs salaires pour les enseignants, les psychologues, travailleurs sociaux, médicaux, les hommes de sciences sociales. Non pas plus de policiers.

Entretien de Karina Micheletto* pour Página12

Página12. Diálogos. Buenos Aires, le 17 abril 2017.

Traduit de l’espagnol pouir El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 13 juillet 2017

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