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16 décembre 2010

Articuler le Foro Social Mondial avec un Wikileaks alternatif

Fascisme social globalisé :
Repenser la nature des pouvoirs et la résistance.

par Boaventura de Sousa Santos *

 

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La divulgation de centaines de milliers de documents confidentiels, diplomatiques et militaires par Wikileaks ajoute une nouvelle dimension à l’approfondissement contradictoire de la globalisation. La révélation, sur une courte période, non seulement de la documentation dont l’existence était connue, mais dont durant longtemps l’accès public avait été refusé par ceux qui la détenaient, mais aussi de celle dont personne n’imaginait l’existence. Ceci dramatise les effets de la révolution des technologies de l’information et oblige à reconsidérer la nature des pleins pouvoirs globaux qui nous (dé)gouvernent et les résistances qui peuvent les défier.

Wikiliquidation de l’Empire ?

La mise en question doit être si profonde qu’elle doit inclure Wikileaks lui-même : Tout n’est pas si transparent dans l’orgie de transparence que nous offre le portail. La révélation est si impressionnante tant par sa technologie que par son contenu. Par exemple, nous écoutons avec horreur ce dialogue : « Good shooting. Thank you » (« Bon tir. Merci »), enregistré tandis que tombaient par terre des journalistes de Reuters et des enfants qui allaient à l’école, ou bien, tandis que des crimes contre l’humanité étaient commis. Nous apprenons que l’Iran est, par consensus, une menace nucléaire pour ses voisins et, par conséquent, il ne manque que de décider qui va attaquer en premier, si ce sont les États-Unis ou Israël.

Qu’une grande multinationale pharmaceutique, Pfizer, avec la connivence de l’ambassade des Etats-Unis au Nigeria, a essayé de faire chanter le procureur général de ce pays pour éviter de payer des indemnités pour l’usage expérimental indu de substances qui ont eu pour conséquences la mort d’enfants.

Que les États-Unis ont fait pression de façon illégitime sur des pays pauvres pour les obliger à signer la déclaration non officielle de la Conférence Mondiale sur le Changement Climatique – qui a eu lieu en décembre dernier à Copenhague — pour pouvoir continuer à dominer le monde sur la base de la contamination provoquée par l’économie du pétrole bon marché.

Que le Mozambique n’est pas un État narco totalement corrompu, mais qu’il coure le risque de le devenir.

Qu’avec le « plan de pacification des favelas » de Río de Janeiro on est entrain d’appliquer la doctrine de la contre-insurrection dessinée par les États-Unis pour l’Irak ou l’Afghanistan, c’est à dire que sont mises en œuvre contre un « ennemi interne » les tactiques utilisées contre un « ennemi externe ».

Que le frère du « sauveur » de l’Afghanistan, Hamid Karzai, est un important trafiquant d’opium.

Et etc., etc., dans un quart de million de documents.

Le monde changera-t-il après ces révélations ? La question est de savoir laquelle des globalisations qui s’affrontent aujourd’hui bénéficiera le plus de la fuite d’information : la globalisation hégémonique du capitalisme ou la globalisation contre-hégémonique des mouvements sociaux qui luttent pour un autre monde possible ? Il est prévisible que le pouvoir impérial des États-Unis apprend plus rapidement les leçons de Wikileaks que les mouvements et les partis qui leur sont opposés dans différentes régions du monde. Est déjà en marche une nouvelle vague de droit pénal impérial, de lois « antiterroristes » pour essayer de dissuader les divers « pirates informatiques » (hackers), ainsi que des nouvelles techniques pour rendre le pouvoir wikisûr. Cependant, à première vue, Wikileaks a un plus grand potentiel pour favoriser les forces démocratiques et anticapitalistes. Pour que ce potentiel se matérialise deux conditions sont nécessaires : digérer convenablement les informations nouvelles et les transformer en nouvelles raisons de mobilisation.

En ce qui concerne la première condition, nous savions déjà que les pouvoirs politiques et économiques globaux mentent quand ils en appellent aux Droits de l’Homme et à la Démocratie, puisque leur objectif principal est de consolider la domination qu’ils ont sur nos vies et ils n’hésitent pas à utiliser pour cela les méthodes fascistes les plus violentes. Tout cela se vérifie, et plus encore que ce que pourraient admettre les plus avisés. Une plus grande connaissance génère de nouvelles exigences d’analyse et de divulgation. En premier lieu, il est nécessaire de faire connaître la distance existante entre l’authenticité des documents et la véracité de ce qu’ils affirment.

Par exemple, que l’Iran soit une menace nucléaire c’est seulement « une vérité » pour les mauvais diplomates qui, à la différence des bons, informent leurs gouvernements de ce que ceux-ci veulent entendre et non de la réalité des faits. De la même manière, que la tactique étasunienne de contre-insurrection est utilisée dans les favelas c’est l’opinion du Consulat général des États-Unis à Río. Il revient aux citoyens d’interpeller les gouvernements nationaux, provinciaux et municipaux sur la véracité de cette opinion. De même qu’il revient aux tribunaux mozambicains d’enquêter sur la corruption présumée dans le pays. L’important est que nous sachions divulguer que nombre de décisions qui peuvent aboutir à la mort de milliers de personnes et la souffrance de millions d’autres, sont prises sur la base de mensonges, et aussi que nous sachions créer une rébellion organisée contre un tel état de choses.

Dans le domaine du traitement de la connaissance il sera de plus en plus crucial de faire ce que je dénomme une sociologie des absences : ce qui n’est pas divulgué quand tout est apparemment divulgué. Par exemple, il semble très étrange qu’Israël, l’un des pays qui pourrait le plus craindre les révélations pour les atrocités commises contre le peuple palestinien, est si absent des documents confidentiels. Il existe des soupçons fondés de ce qu’entre Israël et Julian Assange , ils aient été éliminés par accord. Cela signifie que nous avons besoin d’une alternative à Wikileaks et encore plus transparente. Peut-être, sa création est déjà en marche.

La deuxième condition – les nouvelles raisons et motivations pour la mobilisation – est encore plus exigeante. Il sera nécessaire d’établir une articulation organique entre le phénomène Wikileaks et les mouvements et les partis de gauche, jusqu’à présent peu enclins à explorer les possibilités ouvertes par la révolution des technologies de l’information. Cette articulation peut créer une plus grande disponibilité pour que se révèle une information particulièrement intéressante pour les forces démocratiques anticapitalistes. D’un autre côté, il sera nécessaire que l’articulation inclue le Forum Social Mondial et les médias alternatifs qui le composent.

Curieusement, le Forum Social a été la première nouveauté émancipatrice de la première décennie de ce siècle et Wikileaks, à confirmer, peut être la première nouveauté de la deuxième décennie. Pour que l’articulation soit réalisée, beaucoup de réflexion est nécessaire à l’intérieur des mouvements afin d’identifier les desseins les plus insidieux et agressifs de l’impérialisme et du fascisme social globalisé, ainsi que ses faiblesses insoupçonnées au niveau national, régional et global. Il est nécessaire de créer une nouvelle énergie mobilisatrice à partir de la vérification apparemment contradictoire de ce que le pouvoir capitaliste global est, simultanément, plus écrasant que nous ne pensions et plus fragile que ce que nous pouvons linéairement déduire de sa force. Le Forum Social Mondial, qui se réunira en février prochain au Dakar, a besoin d’être renouvelé et renforcé et ceci peut être une voie pour y parvenir.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

* Boaventura de Sousa Santos est Docteur en Sociologie du Droit et professeur à l’Université de Coimbra (Portugal) et à l’Université du Wisconsin (USA).

Página 12 . Buenos Aires, 16 décembre 2010.

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