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4 mai 2011

Entrée des USA dans la phase d’austérité :
L’enchaînement crise sociales-crise politiques US pour les dix ans à venir

par GEAB *

 

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Entrée des USA dans la phase d’austérité : L’enchaînement crise sociales-crise politiques US pour les dix ans à venir
Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’entrée des Etats-Unis dans la phase d’austérité résulte d’une double série de facteurs : certains endogènes, propres aux Etats-Unis, d’autres liés à l’évolution rapide du contexte international. Pour ce qui est des facteurs internes, il est évident que la question du déficit devient l’un des thèmes centraux du débat politique américain après avoir été soigneusement ignoré pendant des décennies. Les Démocrates « keynésiens » peuvent bien dénoncer une manipulation des Républicains « monétaristes » mais cela ne change rien au fait que ce thème s’impose comme une réalité centrale qui préoccupe les électeurs. En économie comme en politique, la psychologie joue un rôle fondamental et la crise actuelle a modifié l’attitude d’un nombre croissant d’Usaméricains par rapport au concept d’endettement : le leur comme celui de leur pays. Ce qui était considéré comme une preuve de modernité et d’un comportement « vraiment américain » est en train de se transformer en son contraire : un comportement anti-usaméricain et dépassé [1].

Le lien entre débat public et comportement individuel est donc établi sur fond de crise du crédit et de paupérisation des classes moyennes. Selon LEAP/E2020 il va façonner le débat public américain pour la décennie à venir et générer une succession de chocs sociaux et politiques car il s’agit d’une véritable révolution intellectuelle par rapport à la norme de ces cinquante dernières années. Et on peut même considérer qu’il s’agit d’un changement encore plus profond puisqu’il marque la fin du mythe d’une Usamérique à la richesse sans limites [2] et à l’avenir nécessairement lumineux [3].

Dès Novembre 2010, les élections vont permettre de commencer à mesurer l’ampleur du changement en cours. Pour notre équipe il se traduira par deux phénomènes en interaction directe : la paralysie du pouvoir fédéral en ce qui concerne l’économie et le social et une fixation croissante du débat sur les déficits du pays. C’est une situation dangereuse car elle va à la fois exacerber la prise de conscience d’un problème immense trop longtemps ignoré (la question des déficits) tout en empêchant la moindre action significative pour le résoudre (paralysie institutionnelle).

Evolution du chômage de longue durée aux Etats-Unis (1990-2010)
(en bleu, chiffres généraux du chômage) - Source  : BLS, 08/2010


C’est seulement à partir des élections de Novembre 2012 (donc en fait à partir de 2013) qu’il sera possible pour Washington, selon LEAP/E2020, de commencer à prendre certaines décisions internes difficiles. Et encore, c’est l’option la plus optimiste qui suppose qu’un débat rationnel a su prévaloir, ne mettant pas en cause trop de fondements du système politique, social et économique du pays. Mais, pour notre équipe, à ce stade, ce n’est pas l’option la plus probable [4]. En effet, derrière l’enjeu des déficits usaméricains se cache en fait le maintien ou le remplacement des groupes qui contrôlent le système politique US : les ménages les plus riches et le complexe militaro-industriel, associés à leurs intermédiaires financiers, les banques, sont en effet au cœur des déficits gigantesques accumulés par les Etats-Unis. Les premiers ne payent pratiquement plus d’impôts, les seconds se « payent » des guerres à volonté et une armée surdimensionnée, et les troisièmes gèrent tout cela et profitent des déficits qui génèrent une manne d’activités financières de toutes sortes.

C’est d’ailleurs cette nature profondément politique des déficits américains qui crée cet étrange « front de la colère » où l’on peut retrouver très proches dans leurs analyses des militants « tea-parties » ultra-libéraux, anti-impôts et anti-Washington et des militants anti-capitalistes souhaitant une hausse des impôts et le financement d’un Etat providence à l’Européenne. Les deux groupes se retrouvent par exemple dans leur opposition à la réforme du système de santé d’Obama (trop pour les uns, trop peu pour les autres), dans leur « haine » de Wall Street (socialisant les pertes pour les uns, empêchant la socialisation des profits pour les autres), dans leur refus des aventures guerrières (gaspillage d’argent pour les uns comme pour les autres), …

Du « petit blanc » aux minorités laissées pour compte, ces deux mouvances ne peuvent que continuer à se renforcer au rythme de l’hécatombe socio-économique qui frappe la classe moyenne US [5].

’USA : Evolution annuelle comparée du PNB
nominal (vert), du déficit public fédéral (bleu) et du PNB réel (rouge) (1995-2010)
 Sources  : US Treasury / Market Ticker, 08/2010


Mais imaginer que les tenants du pouvoir usaméricain (classes favorisées, banquiers, grandes industries et militaires) se prêtent docilement à un exercice de réduction des déficits qui se traduirait par une perte brutale de leur pouvoir et de leur richesse serait d’une totale naïveté. Et c’est pour cette raison que l’évolution la plus probable, selon notre équipe, se fera en direction d’une succession de crises sociales et politiques au cours de la décennie à venir. La crise, sa durée et sa nature systémique empêchent les actuels groupes dirigeants de pouvoir continuer à exercer leur pouvoir comme par le passé, mais les groupes qui veulent changer le système politique usaméricain ne possèdent pas les moyens de forcer le changement. C’est donc une situation de déséquilibres qui va l’emporter se traduisant par la montée inexorable d’un chômage de masse, « structurel » comme disent les économistes, imposant soit la mise en place d’une couverture sociale de base élargie, soit un fort accroissement des forces de sécurité internes du pays (pour protéger les groupes dirigeants). Cette population « laissée pour compte » alimentera de façon croissante les « croisades » sociales, ou religieuses ou politiques (et sécessionnistes) que commencent à lancer les démagogues et aspirants leaders politiques en tout genre. Au sein des élites US, le débat va s’intensifier dès 2011 sur la meilleure manière de « tenir le pays » sans la richesse ou son ersatz, à savoir le crédit facile de ces dernières décennies.

Contrairement aux possibilités d’il y a trois ou quatre ans, il apparaît désormais peu probable à notre équipe que les aventures militaires extérieures soient adoptées comme moyen de sortie de crise. L’entrée dans la phase d’austérité est en effet peu propice à de nouvelles aventures coûteuses qui ne feraient qu’exacerber les tensions internes tout en générant une opposition extérieure farouche … sachant que les Etats-Unis sont devenus extrêmement dépendants du bon vouloir économique et financier du reste du monde.

Bon gré, mal gré, les Etats-Unis vont devoir faire face désormais aux contradictions et déséquilibres immenses accumulés en cinq décennies. Et cela va bien entendu accroître considérablement leur « risque-pays » et les incertitudes sur leur croissance, leur fiscalité, leur attractivité, leur capacité à honorer leur dette, …

Extrait GEAB N°47, 15 septembre 2010) -

Notes

[1L’utilisation des cartes de crédit s’effondre. Source : BusinessWeek, 08/09/2010

[2Comme le décrit bien le Guardian /dans cet article du 15/08/2010. Or la fin d’un rêve peut très vite tourner au cauchemar.

[3Les changements d’attitude sont en effet rapides, nombreux et radicaux : depuis des villes qui décident d’enlever le macadam des routes faute de pouvoir payer leur remise en état et qui reviennent donc aux pistes du Far West, en passant par la fin de la passion du golf qui entraîne les terrains dans la faillite, la suppression du papier-toilettes dans certains services publics, l’abandon de bateaux de plaisance tout au long des côtes usaméricaines, la fin du financement public des aides aux handicapés, à l’éducation, aux retraités dans de nombreux états et villes, la fin de la voiture pour les teenagers de 16 ans, les universités au bord de la banqueroute, … même le taux de natalité est en chute. Sources  : USAToday, 03/08/2010 ; CNNMoney, 23/07/2010 ; USAToday, 26/08/2010 ; LJWorld, 08/09/2010 ; USAToday, 08/06/2010 ; USAToday, 28/07/2010 ; New York Times, 14/08/2010 ; Wall Street Journal 17/07/2010 ; USAToday, 27/08/2010

[4Source : Washington Post, 12/08/2010

[5C’est d’ailleurs ce qu’avant anticipé LEAP/E2020 dès Février 2009 dans le GEAB N°32.

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