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12 avril 2019

Encore une vicelardise US qui tombe a l’eau : le « Candidat sibérien »

Le bobard du « Candidat sibérien » et ses motifs

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Le rapport du procureur Mueller met en pièces le Russiagate avec lequel nos médias nous nourrissaient en matière d’information. Comment expliquer ce carnaval ?

Pendant deux ans les plus grands conglomérats de médias des États-Unis ont eu un seul sujet, le soi-disant Russiagate  : il était prétendu que Donald Trump a gagné les présidentielles de 2016 grâce à l’ingérence de la Russie dans celles-ci. En un an, le Washington Post, The New York Times, CNN et MSNBC ont consacré à ce sujet 8 507 articles - 8 507 c’est presque 30 par jour - et d’innombrables programmes de et émissions. Maintenant le rapport du procureur Mueller (19 avocats, 40 agents du FBI, des enquêtes auprès de 2800 agents secrets et experts, de 500 registres, 230 écoutes téléphoniques, 500 témoins …) met à nu comme un vulgaire bobard toute cette campagne qui a été incapable de présenter des preuves ni de générer une seule accusation valable.

Pour des raisons historiques, ma confiance dans la justice des États-Unis d’Amérique sur des questions d’État est plutôt limitée. Témoins les affaires JFK et Robert Kennedy, Martin Luther King ou Malcom X notamment, mais le rapport de Mueller touche la ligne de flottaison de tout ce que nous ont raconté ces respectables médias et leurs pathétiques répétiteurs européens.

La simple réalité est que l’ingérence russe dans les élections des États-Unis, ainsi que tout l’arsenal conceptuel qui a été introduit avec les dites « fake news », est la deuxième plus grande fausse nouvelle depuis le début de ce siècle. La première a été celle des armes de destruction massive de Saddam Hussein.

Le Kremlin a toujours préféré les administrations républicaines aux démocrates à Washington. Les raisons en sont claires. Il est aussi évident que Moscou préférait Trump à madame Clinton et a agi en conséquence, que Sadam Hussein était un dictateur criminel. Cependant Saddam n’avait pas d’armes de destruction massive et Trump n’a pas obtenu la présidence grâce à la Russie.

La capacité de la Russie pour influer sur la politique interne des États-Unis est très limitée et arrive clairement bien après celle d’autres pays comme Israël, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Oman, etc., qui consacrent d’énormes sommes d’argent et de l’influence pour capter des niches entières de l’électorat, pour influencer sur les laboratoires d’idées [thinks tanks. ndlt] qu’ils sponsorisent, etc., etc. Tout cela est connu, et même chiffré.

Une autre évidence est que toutes les puissances interviennent, ou essaient d’intervenir, dans la vie interne des autres, mais aucune d’elles n’a jamais réussi à approcher le niveau d’ ingérence des États-Unis : plus de 40 changements de régime ou d’interventions militaires dans des pays depuis la Deuxième Guerre mondiale et une influence culturelle et de propagande mondiale sans comparaison.

Les russes savent très bien ce qu’est l’ingérence extérieure en campagne électorale. Dans les années quatre-vingt-dix des fonctionnaires étasuniens ont rédigé des décrets (en matière de privatisation) et ont vraiment déterminé les élections, en empêchant une victoire communiste lors des présidentielles de 1996. Aucune investigation spéciale de cette ingérence n’est nécessaire parce qu’elle a été publique et ouverte : Les États-Unis voulaient que ces élections soient gagnées par Boris Eltsine, dont le niveau de popularité parmi les russes était de 6 %, et ils s’y sont affairés directement en utilisant toutes leurs ressources et influences.

Russie 1996 : le candidat d’outremer

À la veille des élections il y a eu un crédit de 10 milliards de dollars du FMI, une prorogation de vingt-cinq ans du Club de Paris pour la restitution de 40 milliards de dollars de la dette russe, un prêt de 200 millions de dollars de la Banque mondiale pour des services sociaux, des déclarations d’appui de Bill Clinton, Helmuth Kohl, Alain Juppé et d’autres au candidat Eltsine. Il y a aussi eu un débarquement massif de conseillers et d’experts US en manipulation de l’opinion publique (ce qui est connu comme PR), qui ont dessiné une campagne parfaite. Cela n’a pas été très difficile, parce que les médias travaillaient exclusivement pour le candidat Eltsine, dont le tableau constitutionnel présidentialiste (aujourd’hui en vigueur) était le résultat d’un coup d’état avec canonnade du premier parlement entièrement élu au suffrage universel de l’histoire russe, en octobre 1993, un fait qui a été présentée en Occident comme « L’heure stellaire de la démocratie en Russie » (titre de l’éditorial du Frankfürter Allgemeine Zeitung, le principal quotidien de l’establishment allemand, a l’époque). Et malgré tout cela, ce n’est pas clair qu’au final il n’y ait pas eu manipulation des résultats électoraux… Évidemment, rien de ce genre, même pas apparenté de loin, n’est jamais arrivé aux États-Unis.

Quatre motifs

Et, cependant, le fait est que nous avons vécu pendant presque deux ans sous le bombardement continu de toute cette tromperie qui a encouragé une campagne russophobe hystérique sans précédents et sans peur du ridicule. Rappelons la fausseté périphérique qui a été générée à partir de cette deuxième fausse nouvelle du siècle : l’ingérence russe dans les élections européennes (thèse publiquement soutenue par la Chancelière Merkel et le Président Macron), la main russe dans le Brexit, dans le mouvement des gilets jaunes (thèse maniée par Macron), et même dans le grotesque procès des nationalistes catalans…

Il n’y a pas de doute que Poutine préfère Trump à Hillary. Il n y‘en a non plus pas que Moscou s’intéresse à une Union Européenne affaiblie. Après trente ans passés à ignorer les intérêts nationaux de la Russie, à l’expulser de la sécurité continentale en transgressant les accords de la guerre froide, à annuler tous les accords de désarmement, à placer des militaires à ses frontières et à promouvoir « des révolutions » et des changements de régime dans son environnement : espèrent-ils que la Russie ait de bons sentiments envers eux ? Naturellement, elle ne les a pas et autant que possible elle entreprend les correspondantes politiques et réponses. Tout cela est d’une évidence puérile. Mais alors : quels sont les motivations de la légende du Candidat sibérien - Paul Krugman dixit dans le NYT du 22 juillet 2016 - et de toute l’hystérie maccartiste qui l’a suivie.

Quatre motifs me viennent à l’esprit :

1 - Un moyen de cohésion et de règlement de compte interne.

Aux États-Unis l’establishment est divisé quant aux corrections et aux amendements à faire dans l’agenda de domination mondiale de sa puissance hégémonique ; les amendements lié à la mondialisation, avec l’introduction de plus grandes doses de protectionnisme et l’identification de l’ennemi principal (la Russie ou la Chine) vers lequel on concentre la grosse artillerie.

En Europe, l’UE est dans un processus de désintégration, conséquence de ses contradictions internes, dérivées surtout du leadership maladroit du nationalisme exportateur allemand.

Tant aux États-Unis, où l’hystérie maccartiste s’utilise dans le règlement de compte interne entre fractions, que dans l’UE où c’est un facteur de cohésion, l’hystérie antirusse est fonctionnelle. Quand un système se trouve en crise, sa puissance tend à diminuer et ses élites sont divisées à l’égard des objectifs fondamentaux de sa politique, le besoin d’ennemis est important et fonctionnel parce que cela permet de détourner la tension intérieure vers l’extérieur.

2 - Un chapitre spécifique de la tension d’Occident avec les BRICs.

La tension entre les puissances occidentales et les pays émergents est ce qui domine aujourd’hui le tableau géopolitique. La Russie peut être considérée comme une « puissance émergente » si nous prenons en compte sa reprise et sa récupération relative après la dégradation des années quatre-vingt-dix, quand sa caste dirigeante s’est consacrée à se remplir les poches et à se reconvertir en classe propriétaire. Passé cela, la simple réalité est que la récupération de la Russie comme facteur international n’est pas acceptée en Occident. Cette attitude est devenue ouvertement agressive à partir du moment où Moscou a commencé à réagir activement c’est-à-dire par des moyens militaires, à trente ans d’asservissement géopolitique progressif. Cela a commencé en 2008 avec l’attaque géorgienne de la région de l’Ossétie du Sud bénie par Bush Jr, et a culminé en Crimée en 2014, quand la Russie a annexé cette région russe appartenant à l’Ukraine en réponse à l’opération occidentale de changement du régime que la révolte populaire de Maidán a rendu possible en Ukraine. Cette réponse militaire défensive et réactive, offre des exemples risqués à d’autres puissances émergentes et doit être simplement punie.

Tout cela a peu à voir avec la qualification que nous faisons de l’actuel système russe, un système oligarchique et capitaliste en franche ligne avec le système occidental, ni avec la personne de Poutine. Cela a à voir avec les tensions classiques entre puissances.

3- Compensar la piqûre Snowden.

Dans le cadre général de crise précédemment décrit, il y a un aspect qui a eu un énorme effet pour les États-Unis. Je me réfère aux révélations Snowden-Assange. La démonstration de ce que Big Brother existe et qu’il est un monstre étasunien qui contrôle de forme absolue et criminelle nos communications et réseaux sociaux à travers les agences de sécurité et les grands monopoles multinationaux US de technologie (Google, Amazon, Facebook et Apple), cela a eu un effet démolisseur pour le leadership des Etas-Unis. Rediriger cette catastrophe vers un cadre de tension Est/Ouest a été l’une des stratégies de réponse : Assange un agent de Moscou, Snowden habilement forcé à s’exiler en Russie, les hackers russes comme une vraie menace et toute une série de nouveaux concepts ; de fausses nouvelles, postvérité, guerre hybride, que tous déjà nous répétons comme des perroquets.

4 - contrepropagande

C’est l’unique motif parmi ceux cités qui a un fondement pratique objectif : la propagande russe, l’appareil de renseignements extérieur de la Russie, appelez-le comme vous voulez, s’est plutôt amélioré et est plus efficient. Cette amélioration coïncide avec un plus grand pluralisme de propagandes au niveau mondial (l’unanimité de la télévision lors de la première guerre du Golfe, ou les interventions en Yougoslavie, avec le contrôle complet occidental de l’information n’est désormais plus possible), avec le discrédit des chaînes médiatiques occidentales amplement reconnues comme mensongères à partir de l’Irak, et avec le développement des sources alternatives à travers les réseaux sociaux. Les médias russes extérieurs n’ont rien fait d’autre que copier un modèle occidental de propagande, incitant à ventiler beaucoup de ce qui est étouffé en Occident comme le faisaient les émissions de la propagande occidentale en URSS pendant la guerre froide avec le résultat de quelques titres d’information très attractifs et fréquemment bien travaillés. Cela étant dit, les médias russes continuent d’être incomparablement plus modestes à côté du complexe occidental et la même chose peut être dite des chinois ou des Arabes. Malgré tout, c’est une concurrence ennuyeuse qu’on tente de contrecarrer et d’interdire quitte à bien en transgresser le droit même à la liberté d’information.

PS : Samedi [23 mars] l’eurodéputé Javier Couso a organisé à Madrid un événement lors duquel nous avons eu l’occasion de parler de tout cela. Naturellement, n’y a assisté aucun média de communication établi. Comment allaient-ils le faire, alors qu’ils nous ont vendu le bobard du candidat sibérien pendant deux ans ? Voici le lien.

Rafael Poch de Feliu* pour son Blog personnel

Rafael Poch de Feliu. Catalunya, le 27 mars, 2019

* Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; « La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de « Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ».

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 31 mars 2019

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