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30 août 2020

Economie monétaire : La silencieuse réinitialisation US

par Alastair Crooke*

 

Original in english  : « The quiet americain riset »

Le grand découplage est là. Les États-Unis ont maintenant un « Plan A » pour purger complètement les entreprises technologiques chinoises de l’Internet US, créant ainsi ce que l’administration Trump a surnommé le « Clean Network ». Ce réseau reflète l’initiative « 5G Clean Path » de la Maison Blanche, qui vise à éliminer tous les composants chinois des systèmes US « partout » sur la planète et qui s’étend désormais à toutes les technologies du « Net ».

La Chine craint la chute d’un « Rideau de Fer » financier – une expulsion complète de la sphère du dollar. En fait, le contrôle souple des capitaux est déjà en train de naître, Bloomberg rapportant que les États-Unis demandent maintenant aux collèges et aux universités de se séparer des participations chinoises dans leurs dotations, « avertissant les écoles dans une lettre datant de la semaine dernière, de devancer les mesures potentiellement plus onéreuses [à venir] sur ceux qui détiennent des actions ».

Il semblerait que la retraite annuelle d’August Beidaihe des dirigeants chinois ait convenu (si les recommandations sont ensuite approuvées lors du plénum du Comité Central en octobre) que la Chine devrait se préparer à la guerre, constituer des réserves alimentaires et énergétiques, établir le système économique continental eurasiatique, récupérer son or d’outre-mer et élargir le système mondial de règlement en RMB (notamment son Yuan numérique) – et se préparer à l’interruption complète des relations avec les États-Unis.

Pourtant, alors que les médias se concentrent sur ce découplage « tech » et « sphère », quelque chose de profond – et de tout à fait distinct – façonne déjà l’ordre monétaire mondial (en dehors de l’exclusion probable de la Chine). À plus long terme, il est prévu que cela puisse être plus révolutionnaire – et plus controversé – que le simple « découplage ». Cette question ne suscite qu’une attention limitée.

Cependant, comme il devient de plus en plus évident qu’aucune reprise économique en « V » n’arrivera bientôt – la « maison » américaine prendra feu à nouveau avec le Coronavirus au cours de l’automne et de l’hiver, ce qui présage une nouvelle fermeture économique – il y a de fortes chances que cette bombe enflamme réellement le pays. Tout d’abord, un peu de contexte :

Plus tôt ce mois-ci, Zero Hedge a publié une remarquable interview de deux anciens économistes de la Fed – Simon Potter (qui a également été l’ancien chef de l’Équipe de la Fed de Protection contre les Faillites pendant de nombreuses années) et Julia Coronado – qui ont tous deux un impact considérable sur la philosophie de la Fed.

Ils ont fait allusion à la stratégie de relance et de sauvetage de la Fed (c’est-à-dire au cas où l’économie américaine serait encore bloquée par le Coronavirus) : Il s’agit de « transférer » de l’argent numérique directement dans des applications financières sur les smartphones des Etasuniens, en contournant complètement le système bancaire. Les deux proposent de créer un outil monétaire qu’ils appellent « obligations d’assurance contre la récession », qui s’inspire de certaines des avancées en matière de paiements numériques et qui est « connecté instantanément aux Etasuniens » :

  • « Comme l’explique Coronado, le Congrès accorderait à la Réserve Fédérale un outil supplémentaire pour soutenir, par exemple, un pourcentage du PIB [sous la forme d’une somme forfaitaire qui serait divisée en parts égales et distribuée] aux ménages en récession. Les obligations d’assurance en cas de récession seraient des obligations à coupon zéro, un actif conditionnel des ménages qui en fait serait en attente. Le déclencheur pourrait être l’atteinte de la limite inférieure zéro des taux d’intérêt ou, comme l’a proposé l’économiste Claudia Sahm, une augmentation de 0,5 point de pourcentage du taux de chômage. La Fed activerait alors les obligations et déposerait les fonds numériquement dans les applications des ménages.
  • « Comme l’explique ensuite Potter : « Le Congrès a mis trop de temps à faire parvenir l’argent aux gens, et c’est un problème. Nous avons besoin d’une infrastructure distincte. La Fed pourrait acheter les obligations rapidement sans passer par le marché privé. Le 15 mars, elle aurait pu dire que les taux d’intérêt sont maintenant à zéro, que nous activons les obligations pour un montant X, et que nous suivrons le taux de chômage – s’il augmente au-delà de ce niveau, nous en achèterons d’autres. Les obligations figureront à l’actif du bilan de la Fed ; les dollars numériques sur les comptes des citoyens figureront au passif ».

Puis, quelques jours plus tard, le gouverneur de la Réserve Fédérale, Lael Brainard, a de nouveau fait allusion à la prochaine révolution monétaire : « Pour améliorer la compréhension des monnaies numériques, la Banque de la Réserve Fédérale de Boston collabore avec des chercheurs du MIT, dans une initiative pluriannuelle visant à créer et à tester une hypothétique monnaie numérique orientée vers les utilisations des banques centrales … Il est important de comprendre comment les dispositions existantes du Federal Reserve Act concernant l’émission de monnaie s’appliquent à une Monnaie Numérique de Banque Centrale (CBDC) et si une CBDC aurait cours légal, selon sa conception ».

Qu’est-ce qui pourrait donc inciter la Fed à poursuivre « cet important processus politique » ? Pourquoi – un genou à terre, résultant d’une recrudescence du Covid-19, bien sûr. Le dernier renflouement n’était pas seulement « maladroit », il a fait monter en flèche les actions et les obligations. Et a coupé le prix des actifs de tout lien avec les mesures de valeur, les fondamentaux et l’analyse (et n’a pas fait grand-chose non plus pour les Étasuniens ordinaires). Ce que nous avons maintenant, c’est donc un marché centré uniquement sur des récits, et non sur la réalité. Cela a aussi des implications.

La perspective de voir la Fed « imprimer » des dollars numériques, connectés aux applications de paiement en espèces des citoyens, comme un nouveau mécanisme de stimulation – avec les connotations de la formule « Réinitialisation de Davos » pour passer à un modèle numérique et mondial de Revenu de Base Universel – est évidente, tout comme la tentation politique pour les politiciens de payer toutes sortes de « projets » politiques de cette manière.

Pourtant, ce n’est que la moitié de la « Révolution », deux autres éléments sont déjà « accomplis ». Deux points de basculement ont été franchis. Tout d’abord, les gens peuvent voir (avec les dépenses de prestations des Boomers sur le point de s’envoler en billions), que le gouvernement US ne peut pas supporter le fardeau de la dette sans que la banque centrale n’imprime simplement plus d’argent. Beaucoup de gens à Wall Street verront cela comme la solution : Ils pensent que le fait d’injecter de l’argent numérique directement sur les applications provoquera l’inflation. Et l’inflation peut faire fondre la charge de la dette américaine par la dévaluation de la monnaie.

Deuxièmement, en avril, la Fed a déjà modifié les Ratios de Levier Supplémentaire pour exempter les bons du Trésor Américain des exigences de ratios du capital. Cela signifie que les banques commerciales peuvent acheter n’importe quel montant d’instruments de la dette du gouvernement US, sans mettre de côté le capital sur leur bilan, pour soutenir ces achats. Ainsi (tant que les taux sont même marginalement positifs), elles peuvent acheter et bénéficier d’un revenu nominal. En juin, les banques américaines ont augmenté de 48% leurs bons du Trésor Américain. En effet, la Fed facilite la création de crédit ; les banques l’utilisent pour acheter des bons du Trésor ; et le gouvernement dépense ensuite l’argent.

Magique. Comme la tea-party du Chapelier Fou – à partir de rien, les choses apparaissent. Pas une fois, mais deux fois : un tour similaire a été réalisé par la Fed en multipliant la valeur des renflouements du Trésor – en fournissant des crédits sur une base de 10:1 au véhicule spécial du Trésor. (La Fed affirme qu’il ne s’agit pas de dépenses directes, ce qui serait illégal).

Essayons donc de mettre un peu d’ordre dans tout cela :

Premièrement, les USA a déjà commencé à s’engager sur la voie d’une économie nationalisée (gérée centralement) – un peu comme celle de la Chine. Le Trésor et le Blackrock Hedge Fund, (qui gère la distribution des renflouements par le Congrès au nom du Trésor), prennent désormais les décisions (économiques) de vie ou de mort pour les entreprises américaines – des plus grandes aux plus petites.

Il s’agit d’une « grande réinitialisation ». Et comme la plupart des mesures temporaires, il est probable qu’elle restera en vigueur. Pourquoi le Président américain ne serait-il pas d’accord ? Il contrôle l’émission de « monnaie » maintenant que le Trésor et la Fed sont effectivement fusionnés, et peut « orienter » l’économie US dans une direction « d’intérêt national » pendant sa guerre technologique avec la Chine (et l’Europe). Les marchés libres ? Ils n’existent pas en USA à l’heure actuelle.

Deuxièmement, cette guerre financière est déjà en cours, et la Chine utilisera probablement son CIPS (système de paiement interbancaire transfrontalier) et le yuan numérique initié par sa Banque Centrale (déjà utilisé) pour contourner SWIFT et le dollar US. Sauf que cela signifiera que d’autres seront payés dans une monnaie numérique non fongible qui ne pourra être remise en circulation en Chine que pour ses marchandises. Ou, peut-être pas ? Comme sur le marché à terme du pétrole de Shanghai, les vendeurs étrangers peuvent avoir la possibilité de conserver le produit de leur vente soit dans des titres de créance chinois, soit de sortir leur yuan via le marché physique de l’or.

Mais, à part les États-Unis et la Chine, la Russie, l’Italie, l’Iran et le Royaume-Uni prévoient, entre autres, leurs propres Monnaies Numériques de Banque Centrale. Sommes-nous donc en train d’évoluer – dans une ère de guerre financière accrue – vers une numérisation multiple, non ou quasi-fongible des moyens de paiement, comme la nouvelle norme ?

Troisièmement, le monde réclame à nouveau de l’or en échange de dollars américains. Et les spécialistes de la Fed en valeurs du Trésor – dont certains font office de banques d’or – semblent incapables de s’y conformer. Mais avec l’apparition du Coronavirus, le système financier américain a été contraint de baisser les taux d’intérêt réels en territoire négatif, ce qui fait que l’or semble plus attrayant que les bons du Trésor Américain en cours de dévaluation.

Traditionnellement, la Fed contrôle le marché de l’or afin d’empêcher l’or de concurrencer efficacement le dollar américain, ou de le remplacer comme instrument monétaire primordial. Mais quelqu’un, ou une entité quelque part, se bat maintenant contre la banque centrale américaine pour ce contrôle. En bref, le processus de manipulation de la Fed est actuellement en train d’échouer. Et à moins que la Fed ne puisse supprimer le prix de l’or, et en reprendre le contrôle, nous pourrions assister à une spirale croissante et décroissante de la valeur du dollar par rapport à l’or.

Nous arrivons enfin au cœur du problème.

En décrivant la « révolution » monétaire qui a lieu aux États-Unis, le contingent « Wall Street de Davos » a beaucoup à y gagner : le passage de la monnaie traditionnelle à la monnaie numérique, l’émission de monnaie numérique par les banques centrales (bien que la foule de « Davos » préfère que ce soit une autorité mondiale), la fin de l’argent liquide et le contrôle et la transparence du système que la numérisation permettrait. Certaines de ces mesures, comme l’instrumentalisation politique des applications pour smartphones, ont été encouragées par le Coronavirus.

Mais l’establishment US est profondément divisé : Oui, il y a une puissante composante mondialiste de Wall Street qui soutient Davos, mais d’autres dans l’État Profond, dont certains parmi les néo-conservateurs, préféreraient mourir dans un fossé plutôt que de voir l’hégémonie du dollar US perdue – au milieu des exigences indubitables de la récession économique actuelle. Ces personnes ont tendance à être des partisans de Trump.

Mettons donc en place les dernières pièces du puzzle

Les marchés d’actifs US sont actuellement déséquilibrés par rapport à tous les fondamentaux, et sont régis par une crainte existentielle de « ne pas lutter contre le narratif » et de « passer à côté » de l’occasion. En d’autres termes, les pics du marché boursier – sur lesquels reposent les espoirs de réélection de Trump – sont très vulnérables. En un clin d’œil, le sentiment peut passer d’un mode de « lutte » alimenté par l’adrénaline à un mode de « fuite ». Il suffit de changer le narratif.

Et de quel narratif s’agirait-il ? Eh bien, le « Sage » d’Omaha, Warren Buffet, a livré cette semaine un narratif très inattendu : On lui a montré qu’il avait vendu des actions et acheté de l’or, et des mines d’or. Alors, qui sera le prochain à déclencher la vente du marché d’octobre, alors que le dollar continue de baisser et que les taux d’intérêt sont à la hausse ?

M. Soros pourrait être en train de sourire ?

Original  : The quiet americain riset

Traduit de l’anglais par : Réseau International

*Alastair Crooke, diplomate britannique, fondateur et directeur du Conflicts Forum. Il a été une figure de premier plan dans le renseignement militaire britannique « Military Intelligence, section 6 (MI6) » et dans la diplomatie de l’Union européenne. Il a reçu le très distingué ordre de Saint-Michel et Saint-Georges (CMG), ordre de la chevalerie britannique fondé en 1818.

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