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6 juillet 2015

Don Quichotte à Syntagma

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Ces Messieurs de Bruxelles et de Berlin ne comptaient pas avec Don Quichotte. Ce personnage qui a fui l’Espagne, grièvement blessé et battu, en 1939 n’apparaissait pas, apparemment, dans les ordinateurs de la Banque Centrale Européenne et de l’eurogroupe, si attentifs aux indices des agences de qualification et aux enquêtes d’une opinion convenablement bercée. Quelques historiens, manifestement passés de mode, rappelaient, cependant, l’avoir vu vingt ans après dans les rues de La Havane. Il a été assassiné ensuite dans les forêts de la Bolivie, il est né à nouveau bien après dans d’insolites aubes latinoaméricaines, immédiatement vilipendées depuis l’Espagne avec la rancune caractéristique du nouveau riche utopiste qui ne veut rien savoir du frère turbulent.

En Europe il est apparu le 25 avril au Portugal, mais déjà dans les années quatre-vingt-dix l’incompatibilité du personnage avec les nouveaux sentiers asphaltés de l’Espagne devenue « salopothèquisée » - était manifeste. Il n’y avait rien de plus « tiers-mondiste » que l’esprit de Don Quichotte. La lutte pour la vérité et la justice était illusion. La solidarité « pseudo angélique », un concept canaille estampillé par Joseph Goebbels dans les années trente. On parlait même de sa complète extinction, mais c’est ici que, dans la nouvelle Europe sans frontières, l’esprit de ce sinistre « Monsieur » a déménagé vers la Grèce. Comment cela a-t-il pu arriver ?

Pour comprendre le changement, quelques spécialistes ont rappelé qu’un an après cette première et historique déroute ibérique de 1939, l’échec de la France déjà scellé, un 28 octobre 1940, le « non » des grecs à l’ultimatum de Mussolini a mis un point de dignité Don Quichottesque en Europe, précisément quand les hordes brunes imprimaient leur triomphal pas de l’oie sur le continent. Soixante-quinze ans après, de nouveau la dignité crucifiée, et se souvenant de ce que les grecs ont transformé en leur fête nationale, réapparaît ce même « non ». Don Quichotte à Syntagma.

N’a servi à rien le chantage malhonnête qui a entouré ce référendum. Au contraire, la conscience de cet abus s’est retournée contre les ordinateurs de Bruxelles et de Berlin. Pressions sur les entreprises grecques, concubinage avec la droite grecque pour installer le Président de la banque Centrale Hellène au gouvernement d’Athènes, comme ils ont déjà fait avant en Italie et avec la Grèce même, une intoxication médiatique impressionnante avec sa spécificité nationale dans chacun des États européens, mais particulièrement vomitive en Allemagne. Et comme cerise sur le gâteau : une crise financière, un corralito, spécialement organisée et dessinée par la banque Centrale Européenne, pour rendre fou l’électeur. Sans précédents dans l’histoire financière.

Avec toutes ces données dans sa mémoire, l’ordinateur de Bruxelles/Berlin, les calculs de tous ces personnages gris et de leur armée de journalistes et d’experts de l’Atlantique Nord bien payée, déduisait une inexorable victoire du « oui ». Cela ne pouvait pas être autrement. Ils ont oublié que Don Quichotte avait déménagé à Athènes.

La première salve souverainiste en Europe a pris son envol. Y aura-t-il une suite ? Rappelez-vous que sans souveraineté, il n’y a pas de démocratie, ni même les semblants de démocratie de basse intensité dont nous jouissions. Pas plus d’État social. Sans souveraineté, c’est le retour au XIXe siècle, sous l’empire d’une nouvelle oligarchie. Le spectacle continue. Ils diront que « oui » ou « non », sur le fond peu importe. Cela importe beaucoup, bien que cela n’apparaisse pas sur vos écrans.

Rafael Poch* para La Vanguardia

La Vanguardia. Depuis Paris, 5 juillet, 2015.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo, Paris 6 juillet 2015.

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