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19 juillet 2008

Diplomatie sismique
pour l’Amérique Latine

par Raúl Zibechi *

 

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La récente tournée du sous-secrétaire d’État pour l’Amérique Latine, dans trois pays de l’Amérique du Sud, Thomas Shannon a laissé un goût amer à la diplomatie étasunienne et a mis en évidence que la superpuissance ne contrôle déjà plus la région à son goût. Il a pu constater la contrariété que provoque l’escalade belliciste et le rejet que suscite la réactivation de la IVème Flotte.

La tournée a débuté le 8 juillet en Colombie, à peine une semaine après la libération d’Ingrid Betancourt et de 14 autres otages, parmi ceux-ci trois mercenaires étasuniens. À Bogotá il s’est entretenu avec le président Álvaro Uribe et le commandement des Forces Armées [colombiennes] pour évaluer la marche de la guerre et a confirmé son appui sur la manière dont ce gouvernement gère le conflit. Shannon a essayé de convaincre les médias locaux du fait que l’opération de sauvetage a été « 100 pour cent colombienne ».

Ensuite il s’est rendu au Brésil, où il a pu vérifier qu’ il existe un rejet catégorique de la Quatrième Flotte. Ce qui est arrivé au Sénat de Brasilia parle de soi. Le sénateur Pedro Simón, l’un des plus respectés de la chambre, membre du Partido del Movimiento Democrático, Parti du Mouvement Démocratique, de centre droit, bien qu’allié avec le gouvernement de Lula, a dit clairement qu’il ne croit pas Shannon quand il a assuré qu’il n’y a pas de caractère offensif. « Cette histoire de la Quatrième Flotte fait partie d’une politique de domination que nous connaissons déjà au Brésil… Il suffit de lire le livre de l’ambassadeur étasunien, Lincoln Gordon, à l’époque où ils ont renversé le président Joao Goulart (1964), où il dit ouvertement que les Marines étaient prêts à rentrer [Au Brésil] si Goulart ne présentait pas sa démission ».

La réactivation de la Quatrième Flotte est liée - soutient-il - aux réserves de pétrole découvertes sur les côtes du Brésil. Simon fait partie de la Commission de Défense et des Relations extérieures du Sénat, où sa position a obtenu presque l’unanimité. L’ex-président José Sarney (1985-1990) rejoint le sénateur après avoir considéré que la Quatrième Flotte est relancée « face à la perspective que la région devienne l’un des grands centres de production du pétrole, grâce aux récentes découvertes ».

Selon un reportage de Página 12 ( Disparan contra la IV Flota 14/7/08), le problème de fond est que le Brésil aspire à que sa zone d’exploitation économique exclusive s’étende des actuels 370 kilomètres à 648 kilomètres, basée sur des études géologiques qui démontrent l’étendue de la plateforme continentale.

En plus du Sénat, le gouvernement de Lula se montre ennuyé par la position belliciste de Washington, ce qui peut troubler les relations entre les deux pays. Le rejet de la Colombie au Conseil de Sécurité Sudaméricain - une proposition de Lula à la dernière réunion de l’Unasur (l’Union de Nations Sudaméricaines), fait partie de la tentative de Washington pour tailler dans l’autonomie croissante de la région.

A Buenos Aires, dernière escale de la tournée Shannon, la présidente Cristina Fernández a exprimé un souci similaire, ce qui a forcé le fonctionnaire étasunien d’affirmer que "l’armada de guerre [US] ne va entrer dans aucune rivière, ni aucune eau territoriale".

Les relations bilatérales ont connu un point critique avec le « scandale de la valise », quand un entrepreneur un Vénézuélo-étasunien a essayé d’entrer en Argentine avec 800.000 dollars. Selon un procureur de Miami, l’argent était dirigé à la campagne de Fernández, mais la présidente a répondu qu’il s’agissait d’une « opération pourrie » montée par la Maison Blanche pour troubler les relations argentino-vénézuéliennes.

Ces faits se sont produits au moment où l’Argentine vit une nouvelle crise politique aux conséquences imprévisibles, et dont l’origine n’est pas du tout transparente. La Maison Blanche considère l’Argentine comme un "associé clef" en Amérique du Sud.

Ce n’est pas clair ce que signifie tout cela, étant donné que Washington a déjà deux associés stratégiques, la Colombie et le Pérou, et un associé stable de vieille date, le Chili. Il se trouve que la diplomatie brésilienne a établi clairement sa position comme pays émergent dans le monde, et comme pays « leader » dans la région, ils ne peuvent seulement avancer sur la base d’une alliance solide avec l’Argentine.

Samuel Pinheiro Guimaraes, le plus remarquable diplomate brésilien et l’un des principaux intellectuels du pays, a dit il y a quelques jours en référence à l’Argentine, que « les crises dans les économies de la région sont le reflet de la crise au centre de l’économie mondiale », comme conséquence « de grandes manœuvres spéculatives » (Jornal do Valor, 14/7/08). Il a ajouté qu’aujourd’hui le Brésil est le principal fournisseur de l’Argentine et que pour les entreprises brésiliennes les investissements dans ce pays sont décisifs. A propos du Conseil de Sécurité Sudaméricain, Pinheiro Guimaraes a assuré que l’un des objectifs est le développement de l’industrie de défense sur le continent et au Brésil, « parce qu’il n’y a pas de défense efficace quand on dépend d’équipements importés ». À la fin de l’entretien il a assuré que les élites des États-Unis « tendent à se comporter de manière impériale ».

Au-delà des relations cordiales qu’Itamaraty et la Maison Blanche maintiennent, les épisodes autour de la Quatrième Flotte et de la tournée de Shannon révèlent qu’il existe une dispute ouverte pour l’hégémonie régionale. À cela doivent s’ajouter deux faits : Le Brésil n’est pas seul sur le continent et a construit une stratégie de long terme qui, comme le démontrent les cas du sénateur Simon et de Pinheiro Guimaraes, deux non petistes [PT est le parti au pouvoir], dépasse le gouvernement de Lula pour devenir une stratégie de nation.

Bien qu’il ne semble pas opportun se laisser entraîner par des hypothèses conspiratrices, comme celle qui assure qu’ un coup d’État contre Cristina Fernández est en marche, tout indique que la déstabilisation de ce gouvernement est, au minimum, observée avec sympathie par les États-Unis. Quand la stratégie impériale ne peut pas frapper directement un adversaire clef comme le Brésil, elle peut choisir d’agiter l’un de ses flancs les plus sensibles, avec la conviction que provoquer de petits ou des grands tremblements de terre est le bon chemin pour faire prévaloir ses intérêts.

Traduction libre de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

La Jornada . México, le 18 Juillet 2008.

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