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4 août 2017

Devons-nous réellement la modernité au capitalisme ?

par Jorge Majfud *

 

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L’une des affirmations que les apologistes du capitalisme répètent le plus et mettent le moins en question est celle qui dit que ce fut le système qui a crée dans l’histoire le plus de richesse et le plus du progrès. Nous lui devons Internet, les avions, YouTube, les ordinateurs avec lesquels nous écrivons et toute l’avancée médicale et la liberté sociale et individuelle que nous pouvons trouver aujourd’hui.

Le capitalisme n’est pas le pire et ni le moins criminel des systèmes qui ont existé, mais cette interprétation arrogante est, en plus, une confiscation que l’ignorance fait à l’histoire.

En termes absolus, le capitalisme est la période (non le système) qui a le plus produit de richesse dans l’histoire. Cette vérité serait suffisante si nous ne considérions pas qu’elle est très trompeuse comme quand dans les années 90 un ministre uruguayen s’est vanté de que durant son gouvernement s’étaient vendus plus de téléphones portables que dans tout l’histoire du pays.

L’arrivée de l’homme sur la Lune n’a pas été une simple conséquence du capitalisme. Pour commencer, ni les universités publiques, ni les privées sont, dans leurs fondements, des entreprises capitalistes (exceptés quelques exemples, comme le fiasco de la Trump University). La NASA non plus n’a jamais été une entreprise privée mais publique et, de plus, elle s’est développée grâce à l’engagement préalable de plus de mille ingénieurs allemands, dont Wernher von Braun, qui avaient expérimenté et perfectionné la technologie des fusées dans les laboratoires de Hitler, qui a investi des fortunes (certes, avec une certaine aide économique et morale des grandes entreprises étasuniennes). Tout, l’argent et la planification ont été étatiques. L’Union soviétique, surtout sous le commandement d’un dictateur comme Staline, a gagné la course spatiale après avoir mis en orbite pour la première fois de l’histoire le premier satellite, la première chienne et jusqu’au premier homme douze ans avant l’Apollo 11 et à peine quarante ans après la révolution qui a transformé un pays arriéré et rural, comme la Russie, en puissance militaire et industrielle en quelques décennies. Rien de cela ne s’avère capitaliste.

Certes, le système soviétique a été responsable de beaucoup de péchés moraux. De crimes. Mais ce ne sont pas les déficiences morales qui distinguaient le communisme bureaucratique du capitalisme. Le capitalisme s’associe seulement avec la démocratie et les Droits de l’homme par la narration, répétitive et écrasante (théorisée par les Friedman [Chicago Boys] et pratiquée par les Pinochet), mais l’histoire démontre qu’il peut parfaitement cohabiter avec une démocratie libérale ; avec les dictatures génocidaires latinoaméricaines qui précédaient à l’excuse de la guerre contre le communisme ; avec des gouvernements communistes comme la Chine ou le Viêt-Nam ; avec des systèmes racistes comme l’Afrique du Sud ; avec des empires destructeurs de démocratie et de millions d’habitants en Asie, en Afrique et Amérique Latine, comme aux XIXe et XXe siècles le furent l’Angleterre, la Belgique, les États-Unis, la France, etc.

L’arrivée sur la Lune comme la création d’Internet et les ordinateurs qui sont attribués au capitalisme ont basiquement été (et, parfois, uniquement) des projets de gouvernements, non d’entreprises comme Apple ou Microsoft. Aucun des hommes de science qui ont travaillé dans ces programmes technologiques révolutionnaires ne l’a fait comme entrepreneur ou en cherchant à devenir riches. En fait, plusieurs d’entre eux étaient idéologiquement anticapitalistes, comme Einstein, etc. La majorité étaient les professeurs salariés, non les vénérés entrepreneurs de maintenant.

À cette réalité il faut ajouter d’autres faits et un concept basique : rien de cela n’a surgi de zéro au XIXe siècle ou au XXe siècle. L’énergie atomique et les bombes sont des filles directes des spéculations et les expériences imaginaires d’Albert Einstein, suivi d’autres génies salariés. L’arrivée de l’homme sur la Lune aurait été impossible sans des concepts basiques comme la Troisième loi de Newton. Ni Einstein ni Newton n’auraient développé leurs merveilleuses mathématiques supérieures (aucune d’elles dues au capitalisme) sans une pléthore de découvertes mathématiques introduites par d’autres cultures bien des siècles auparavant. Quelqu’un imagine-t-il le calcul infinitésimal sans le concept du zéro, sans les nombres arabes et sans l’algèbre (de l’arabe al-jabr ), pour en citer que quelques uns ?

Les algorithmes qu’ utilisent les ordinateurs et les systèmes d’Internet n’ont pas été créés ni par un capitaliste ni dans aucune période capitaliste, mais des siècles auparavant. Il a été conceptuellement développé à Bagdad, la capitale des sciences, par un mathématicien musulman d’origine persane au IXe siècle appelé Al-Khwârizmî , précisément. Selon Oriana Fallaci, cette culture n’a rien donné aux sciences (ironiquement, le capitalisme naît dans le monde musulman et le monde chrétien le développe).

Ni l’alphabet phénicien, ni le commerce, ni les républiques, ni la démocratie n’ont surgi pendant la période capitaliste mais des dizaines de siècles avant. Ni même l’imprimerie dans ses différentes versions allemandes ou chinoises, invention plus révolutionnaire que Google, ne l’a été grâce au capitalisme. NI La poudre, ni l’argent, ni les chèques, ni la liberté d’expression.

Bien que Marx et Edison soient la conséquence du capitalisme, aucune grande révolution scientifique de la Renaissance et de l’Ère Moderne (Averroès, Copernic, Kepler, Galileo, Pascal, Newton, Einstein, Turing, Hawking) est dûe à ce système. Le capitalisme sauvage a produit beaucoup de capital et plusieurs Donald Trump, mais très peu de génies.

Pour ne pas parler des découvertes plus pratiques, comme le levier, la vis ou l’hydrostatique d’Archimède, découvertes faites il y a 2 300 ans. Ou la boussole du IXe siècle, l’une des découvertes les plus transcendantes dans l’histoire de l’humanité, de loin plus transcendante que tout téléphone intelligent. Ou la roue, qui s’utilise en Orient depuis six mille ans et qui n’a pas encore passé de mode.

Bien entendu qu’entre l’invention de la roue et l’invention de la boussole quelques siècles ont passé. Mais si le « vertigineux progrès » de la période capitaliste n’est d’aucune nouveauté. Sauf des périodes de catastrophe comme le fut la peste noire pendant le XIVe siècle, l’humanité a accélère l’apparition de nouvelles technologies et de ressources disponibles pour une partie croissante de la population, comme par exemple le furent les différentes révolutions agricoles. Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour remarquer que cette accélération découle de l’accumulation de connaissances et de la liberté intellectuelle.

En Europe, l’argent et le capitalisme ont signifié un progrès social devant l’ordre statique féodal du Moyen Âge. Mais bientôt, ils sont devenus le moteur de génocides coloniaux et ensuite une nouvelle forme de féodalisme, comme celle du XXIe siècle, avec une aristocratie financière (une poignée de familles accumulent la plupart de richesse dans des pays riches et pauvres), avec des ducs et des comtes politiques et avec des roturiers et des vassaux démobilisés.

Le capitalisme a capitalisé (et les capitalistes ont confisqué) des siècles de progrès social, scientifique et technologique. Pour cette raison, et pour être le système global dominant, il a été capable de produire plus richesse que les systèmes précédents.

Le capitalisme n’est pas le système de quelques pays. C’est le système hégémonique du monde. Ses problèmes peuvent être atténués, ses mythes peuvent être démantelés, mais on ne peut pas l’éliminer jusqu’à ce qu’il entre dans sa crise ou pente descendante comme le féodalisme. Jusqu’à qu’il soit remplacé par un autre système. Cela au cas où il reste encore une planète ou une humanité. Parce qu’aussi le capitalisme est l’unique système qu’il a mis l’espèce humaine au bord de la catastrophe mondiale.

Jorge Majfud * pour El Correo de la Diaspora.

* Jorge Majfud est Uruguayen, écrivain, architecte, docteur en philosophie pour l’Université de Géorgie et professeur de Littérature latinoaméricaine et de Pensée Hispanique dans la Jacksonville University, aux États-Unis d’Amérique. College of Arts and Sciences, Division of Humanities. Il est auteur des romans « La reina de lAmérica » (2001), « La ciudad de la Luna » (2009) et « Crise » (2012), entre d’autres livres de fiction et d’essai.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 4 août 2017.

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