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22 janvier 2016

Gouvernement de la Province de Jujuy, Argentine

Détention arbitraire de Milagro Sala
« Demander un Milagro » Eugenio Raúl Zaffaroni

par Eugenio Raúl Zaffaroni*

 

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Dans des circonstances étranges ce qui est normal devient si anormal qu’on peut seulement attendre un Miracle. Bien que je ne me caractérise pas par des élans mystiques, je ne peux rien de moins qu’espérer un Miracle, à savoir que Dieu, Christ, la Vierge, la Terre Mère, la Pachamama, el Gauchito Gil ou quelqu’autre chemin de l’Absolu, fasse que les gouvernants actuels de la Province de Jujuy, mettent en route leurs neurones.

Si face à quelque situation conflictuelle on conclut qu’on peut seulement la résoudre par la force ou la violence, inévitablement c’est parce qu’elle est mal posée, et sans la mettre à plat, on ne peut la résoudre, si ce n’est que la force complique la situation encore plus et la bonne solution s’éloigne.

C’est en rien une solution que de remplir une province avec des forces fédérales, qui en principe n’ont rien à faire dans des conflits locaux. Encore moins de priver de liberté sur la base d’accusations insolites. Camper, comme l’ont fait durant des années les instituteurs devant le Congrès, n’est pas un délit mais une manifestation.

La présence de gens réunis salit, parce que nous les êtres humaines nous salissons, et quand nous sommes ensemble nous salissons ensemble, mais salir une place n’est pas une sédition. Aucun juge n’a le droit de me chasser d’une place, seul ou accompagné, lui désobéir n’est pas un délit, parce que pour qu’il y ait délit de « désobéissance », il faut que l’ordre soit « légitime », n’oubliez pas que c’est ce qu’exige la loi.

Le sens politique le plus élémentaire montre que l’autorité ne s’affirme pas par la force. La force la conforte seulement quand elle appuie la raison.

Priver de liberté une personne pour obtenir que cesse une manifestation n’est pas rationnel, ne mène à rien, si ce n’est à un incident international ridicule dont nous les argentins sommes tous victimes.

Enlever la statut juridique à l’opposant pour le priver de tout avantage, y compris avoir accès à la justice, c’est une vieille méthode complètement rejetée dans n’importe quel Etat de droit. C’est ainsi qu’on a combattu le syndicalisme au XIXème siècle et qu’on a inventé le délit d’association illicite. Y compris depuis la plus stricte mesquinerie politique, tout ceci est inefficace. Il semble qu’au lieu d’oublier les injustices, en fonction de la nécessité d’assumer la responsabilité de gouverner, on fait appel à la revanche, sans se rendre compte des effets contre- productifs, à savoir, d’élever l’ennemi victimisé à la condition de premier personnage national.

Nous ne devrions pas ménager notre effort pour que notre Peuple croie chaque jour plus dans la justice et la légalité, ce qui n’est pas facile quand c’est précédé de longue expérience d’invocations hypocrites des plus hautes valeurs républicaine et démocratiques de la part de ceux qui les ont soumis à la force, à la violence, et à la pauvreté.

Justement le chemin inverse, celui de la « décroyance » et du scepticisme devant les valeurs républicaines, c’est celui qu’on prend quand un Exécutif ou un parti manipule la Justice , en nommant des amis pour neutraliser le contrôle judiciaire et de ses propres actes de gouvernement. Cela signifie qu’on s’assure le contrôle des contrôleurs, et par conséquent, personne ne croira dans l’efficacité de ce contrôle.

Attention à ne pas confondre ce qui est légal et ce qui est légitime, confusion qui semble se répandre ces derniers temps, alors que même l’illégal se prétend aussi légitime, avec des invocations et des accents de démocratie plébiscitaire. Il y a légitimé quand c’est éthiquement fiable, et une Justice manipulée, bien qu’elle soit légale n’est pas légitime, parce qu’il est trop évident qu’elle est le fruit d’une manœuvre grossière pour laquelle autrefois nous avions critiqué Menem, bien qu’avec la perspective du temps nous devons reconnaître que ce fut quelque chose de plus prolixe.

Si on veut obtenir une mesure judiciaire contre quelqu’un, même dans le cas où elle serait absolument justifiée, on ne peut tomber dans la contradiction de le faire pour une Justice au préalable manipulée. Personne ne croira demain dans les condamnations de cette Justice.

Rien de cela ne va dans le bon sens. La politique est en grande partie un art de la négociation. Le pouvoir local ne peut ignorer que le conflit touche des milliers de citoyens, avec lesquels il faudra vivre au moins pendant quatre ans.

Le contrôle par la force ne sert pas, parce que la force ne permet pas de tout contrôler, et ce qui est contenu seulement à travers elle, profite toujours du premier moment d’inattention pour offrir de la résistance. C’est naturel, nous le faisons tous quand nous sommes soumis à une force irrationnelle.

Celui qui gouverne ne peut être toujours absolument rationnel parce que nous les êtres humains nous ne le sommes pas tout le temps, mais il doit s’efforcer au maximum de l’être, bien plus que les citoyens lambda, justement parce qu’il a la responsabilité du gouvernement, que ne lui donne pas une majorité pour faire n’importe quoi mais pour agir rationnellement et au sein des limites de la constitution et le plus légitimement possible.

Pourvu que le miracle se produise, pourvu que descende un minuscule brin de pentecôte politique et qu’ils libèrent Milagro, fassent cesser la honte internationale dans laquelle ils nous ont -nous tous les argentins- mis

Ce n’est pas de la faiblesse que faire le premier pas vers un accord, mais, au contraire, un signe de force, de sécurité, de rationalité.

Que le Miracle se fasse, et que quelqu’un ait l’idée, en rien originale, de la médiation, d’inviter une commission mixte, qui discute, négocie proprement, cherche des solutions au conflit. Tout conflit a une solution. Celle-ci n’est jamais l’anéantissement de l’autre, cela n’est pas une solution mais de la violence qui se reproduit, et finalement un délit d’état, qui de plus, peut demeurer impuni parfois des années.

Jujuy partage une culture millénaire de communauté et d’intégration. Il faut espérer que le Miracle arrive et que quelqu’un, un peu perspicace, se rende compte que c’est un important facteurs de solutions aux conflits

Que Ceferino depuis le Sud nous aide jusqu’au Nord

Eugenio Raúl Zaffaroni * pour Página 12

Página 12. Buenos Aires, le 22 janvier 2016.

*Eugenio Raúl Zaffaroni. (Buenos Aires, le 7 janvier 1940) il est un avocat et un notaire argentin gradué dans la faculté de Droit et de Sciences Sociales de l’Université du Buenos Aires en 1962, docteur des Sciences Juridiques et Sociales par l’Université Nationale du Littoral (1964), et juge de la Cour Suprême de Justice argentine dès 2003, jusqu’à 2014 quand il a présenté sa démission pour être arrivé à la limite d’âge qui fixe la Constitution. Actuelment Juge à la Court Interamericaine de Droits de l’Homme.

Traduit de l’espagnol pour el El Correo de la diáspora par  : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la diaspora Paris, le 22 janvier 2016.

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