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28 juillet 2010

Déséquilibres de l’actuel modèle économique argentin. I et II le III suit....

par Claudio Katz *

 

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« La politique économique réunit à l’heure actuelle nombre d’ingrédients d’un modèle. Cette qualification peut sembler abusive comparé à d’autres configurations de l’histoire nationale, comme le schéma agro-exportateur ou la substitution des importations. Mais il est totalement pertinent face à la convertibilité (de la monnaie). Seul le temps tranchera sur le statut social historique de l’orientation en vigueur, mais ses déséquilibres sont déjà nets. »

I

Ruptures et continuité

Le modèle a émergé d’une extraordinaire débâcle. Aucun effondrement précédent n’a inclus la confiscation des dépôts, la cessation des paiements, la massification du chômage, l’explosion de la pauvreté et la destruction industrielle, dans les proportions observées pendant les années 2001.

Cet effondrement a remis en question le capitalisme lui-même et a été surmonté par la reconstitution de ce système. L’actuel schéma se base sur la recomposition de l’autorité étatique et politique obtenue par le gouvernement des Kirchner. Cette restauration a permis de conforter/ valider les privilèges des classes dominantes et d’assurer la poursuite de leur enrichissement aux dépens des majorités populaires.

Le modèle qui fut en vigueur dès 2003 n’introduit pas de changements substantiels dans le profil productif traditionnel de l’Argentine. L’orientation agricole continue de primer sur une sphère industrielle subordonnée [à l’étranger]. Des modifications dans l’insertion internationale n’ont pas émergé, à l’image de celles observées dans les économies asiatiques qui se sont industrialisées vite (Corée du Sud) ou se sont transformées en puissances exportatrices (Chine).

Mais au sein de cette continuité le modèle comporte des virages significatifs dans la politique économique. Le taux de change faible est resté au départ neutralisé avec la dévaluation, l’ouverture importatrice a été substituée par l’emphase exportatrice et les privatisations ont perdu du poids face à l’intervention de l’état. Des modifications de la même envergure ont eu lieu dans la politique fiscale, du travail, monétaire et financière.

Ces changements expriment un nouvel équilibre entre les différents secteurs qui composent le bloc dominant. Les privilèges qu’avaient les banques ont été réduits, la bourgeoisie industrielle a obtenu une plus grande influence et d’autres acteurs ont gagné en force dans le conglomérat agro-exportateur.

L’actuel modèle s’est éloigné de tous les versants usuels du néolibéralisme. Il ne promeut pas l’ouverture commerciale, la dérégulation du travail et ni les privatisations. Il n’est pas non plus basé sur des abus sociaux systématiques ou sur des mesures continues offensives du capital sur le travail. Sur le plan externe, il met en question le libre-échange et la mobilité des flux financiers.

Cet éloignement du néolibéralisme est visible comparé à la convertibilité et à la direction suivie par d’autres pays latino-américains. La fidélité vers l’orthodoxie économique qui est observée en Colombie, au Mexique ou au Pérou a disparu du modèle argentin.

Mais ces différences n’ont pas créé le scénario post-libéral qui surgirait d’une rupture radicale avec l’étape précédente. La nationalisation des secteurs basiques, la redistribution progressive des revenus et la transformation de l’investissement public en force motrice de l’économie, constitueraient les piliers de ce virage. En absence de ces changements, tout diagnostic de post-libéralisme est erroné (ou prématuré).

Objectifs et conflits

Une intention explicite du modèle est de récupérer le poids qu’a eu l’industrie pendant les années 50-60. Les fonctionnaires ont mentionné cet objectif dans leurs éloges répétés à la « bourgeoisie nationale » et dans leurs appels à restaurer un entreprenariat industriel national vigoureux. Cette invitation n’est pas restée seulement dans les discours. L’association initiale de l’UIA, Techint et d’autres groupes avec la gestion K a perdu en force, mais s’est maintenue.

Ces objectifs et alliances expliquent l’usage fréquent du terme « neo-développementisme » pour caractériser le schéma en vigueur. Cette dénomination montre l’intention industrialiste, en opposition à la valorisation financière précédente.

La suprématie que les banquiers ont eue pendant les années 80 et 90 obéissait à la régression productive et à l’ampleur de la dette publique. Ces avantages des banques ont été brutalement érodés par le crack de 2001. La rentabilité de l’agriculture, de l’industrie minière, de l’industrie ou des services, ne sont plus à la traîne de l’intermédiation financière.

L’intention industrialiste essaie d’atténuer la prééminence de l’activité agro-exportatrice. Pour cette raison le principal conflit que le gouvernement a affronté avec ses associés des classes dominantes a tourné autour de la gestion de la rente agraire.

Mais le but industrialiste est seulement « néo » développementiste. Il ne cherche déjà plus à ériger un appareil manufacturier avec le secours des nationalisations ou du protectionnisme face à un secteur agraire stagnant. Il cherche à reconstituer seulement le tissu industriel délité, en coexistence avec une structure agro-capitaliste renouvelée et technicisée. Le vieux développement a été substitué par cette variante agro-industrielle.

Beaucoup d’auteurs louent la prétention industrialiste, comme si c’était l’unique chemin possible ou le plus convenable. Ils oublient que son caractère capitaliste le rend défavorable aux majorités populaires. Il est important de souligner ce fait, pour reprendre une analyse critique et non élogieuse du néo-développementisme.

Le modèle a traversé des périodes très diverses, puisque la solvabilité initiale a été suivie de plusieurs convulsions. Pendant la période 2002-07 il a eu l’appui unanime de tous les groupes dominants, qui ont recomposé leurs niveaux de rentabilité. L’important transfert de revenus généré par la méga-dévaluation a créé un matelas élevé de bénéfices, qui a permis de restaurer les gains.

Mais cet état de grâce s’est dissipé pendant l’affrontement avec les producteurs du soja. Ce conflit s’est terminé sur un échec politique du gouvernement qui laisse apparaître le nouveau pouvoir des capitalistes agraires. Avec leurs démonstration de force, ces secteurs ont paralysé toute tentative gouvernementale d’avancer vers les objectifs industrialistes, en retenant une plus grande partie de la rente du soja. Cette restriction fut assumée par le gouvernement et l’establishment a accepté la continuité du modèle.

L’échec électoral des Kirchner en 2009 n’a pas non plus changé la direction. L’opposition de droite a occupé le centre de la scène, sans exhiber un profil économique net. Par la suite, le grand virage que semblait introduire la crise internationale n’a pas été consommé et les lignes initiales du modèle sont réapparues. Les mesures adoptées dans les derniers mois illustrent cette poussée, signée par l’ascension emblématique d’une portée de fonctionnaires menés par Marcó del Pont.

Les trois remises en question que le modèle a affrontées, avec l’action des producteurs du soja, le recul électoral et la crise mondiale, n’ont pas modifié sa continuité. Si cette persistance est réaffirmée, cela confirmerait une tendance à long terme. Mais cette durabilité n’est pas synonyme de bons résultats. Il y a un énorme fossé entre ce qui est recherché et ce qui est obtenu.

Orphelinat industriel

Comme l’objectif principal du modèle est d’augmenter le poids de l’industrie, il faut le tirer le principal bilan dans ce secteur. En contraste avec ce qui s’est passé pendant les années 90, on a enregistré une forte croissance, qui a favorisé une reprise de l’emploi et freiné le démantèlement industriel. Mais les diagnostics de la majorité qui encensent le « nouveau brio de la production »et le « profil réussi des exportations » sur-dimensionnent ce qui est arrivé.

La reprise s’explique par la très forte capacité de réserve laissée par la crise. Aucun changement significatif ne s’est produit dans les tendances précédentes, prise de participation de groupes étrangers, concentration et la faible compétitivité manufacturière. La participation de l’industrie dans le produit national brut total est identique à 2003 et garde la même composition sectorielle que durant les dernières décennies (avec une forte concentration dans seulement cinq secteurs). La tiède avancée de l’exportation a été la conséquence de la dévaluation et non de l’augmentation de l’investissement.

Le poids continuel des participations étrangères s’approfondit, en plus, de la tentative de reconstituer la vieille bourgeoisie nationale. La dévaluation de 2002 a baissé le prix des actifs et elle a rendu attractive la vente d’entreprises vers des propriétaires étrangers, qui possèdent déjà les trois-quarts des grandes entreprises. Le gouvernement n’a pas introduit de restrictions légales à ces cessions que les sociétés transnationales négocient en une position de force. Ces entreprises arrivent au pays en suivant un calendrier d’expansion global, fixent leurs conditions d’achat et ont réussi à acquérir avec une facilité étonnante un nombre important d’entreprises.

Le plus frappant est la disposition qu’ont montrée les anciens propriétaires à se détacher de leurs biens. Beaucoup de groupes familiaux ont disparu ou sont restés en minorité (Bemberg, Richards, Montagna, Gotelli, Garovaglio Zorraquín, Pérez Companc). Ce recul des industriels locaux est aussi à rapprocher du rôle réduit que joue l’Argentine dans les multinationales régionales. L’unique entreprise de poids dans ce secteur en vu est Techint. Les entreprises restantes (Arcor, Impsa, Bagó) gardent une importance peu significative face à leurs homologues du Brésil ou Mexique.
Ces limites des capitalistes nationaux ne suivent pas un cours univoque, puisqu’elles coïncident avec une tendance opposée d’ « argentinisation » des services. Le modèle actuel a freiné la privatisation à des étrangers de ces activités pour stimuler un retour des entrepreneurs nationaux. Ce changement a déjà eu lieu dans quelques entreprises (Telecom, Edenor) et dans d’ autres (YPF, Gaz Natural), il est en négociation. Les capitalistes argentins préfèrent bouger leurs pions vers une affaire qui a moins d’exigences d’investissement, puisque les tarifs et les subventions sont négociés avec le gouvernement en place. De plus, comme la concurrence est fermée le risque est limité.

Le modèle tend à récréer la vieille tradition de “l’état idiot”, qui secoure les entreprises en faillite (ligne aériennes, trains, eau , la poste), assure des tarifs élevés aux administrateurs privés ( péages, aéroports) et valide le profit élevé des activités en concessions (pétrole, industrie minière, téléphonie, électricité). Cette politique enrichit plusieurs groupes privilégiés, qui sont très liés au gouvernement (Eurnekian, Gutiérrez, Eskenazi, Bulgeroni).

Ce favoritisme s’étend de façon plus significative à un autre cercle d’entrepreneurs proches du pouvoir, qui gèrent des affaires qui procurent un enrichissement foudroyant et accumulent d’innombrables plaintes pour corruption (Báez, Jaime). Sur ce groupe de nantis repose la reproduction du “capitalisme d’amis” que le modèle favorise aussi.

Cette modalité d’accumulation a miné dans le passé plusieurs tentatives de développement de l’industrialisation. Il a conduit à de nombreuses situations d’inefficacité et d’improductivité, qui ont été payées par l’argent public et ont fini par déclencher des crises fiscales. La répétition de ces précédents échecs illustre comment le projet neo-développementiste trébuche.

A nouveau se vérifie l’absence d’une classe capitaliste disposée à assumer le risque de l’investissement industriel. Le sujet social d’un processus ré-industrialisation n’apparaît pas sur la scène économique. Pour peser contre cette absence il faudrait une décision officielle plus audacieuse de substitution de ces entrepreneurs par des entreprises nationales, dans un cadre de nationalisations et une plus grande absorption de la rente agraire. Jusqu’à présent le gouvernement n’a pas montré d’inclinaison vers cette direction.

II

Obstruction agraire et financière

La tentative néo-développementiste fait face à une autre restriction résultant du nouveau scenario agraire. À la différence de ce qui s’est passé dans le passé, la Pampa Humide ne souffre plus de la maladie de la stagnation. Depuis trois décennies un processus d’intense modernisation capitaliste a pris place élevant de façon significative la moyenne des bénéfices. Cette rentabilité dissuade à nouveau toute tentative de promotion d’autres activités de l’économie.

Le vieux schéma des propriétaires latifundistas, locataires et fermiers a été remplacé par un nouveau type d’entrepreneurs technicisés qui sèment et font la récolte en étroite association avec les grands exportateurs et les multinationales pourvoyeuses de produits agrochimiques. La principale source de profit provient de la rente différentielle que génère la fertilité de la terre. Mais ce vieil attribut a été dopé par les investissements qui ont incorporé de nouveaux éléments de gain.

Cette configuration est en concurrence avec le projet industrialiste, en attirant les capitaux disponibles vers le profitable secteur rural. Ce segment absorbe toute la rente dans son propre circuit. Le même obstacle qui a empêché le décollage industriel limite de nouveau son développement actuel.

Mais cette nouvelle obstruction inclut un élément nouveau avec la suprématie du soja. La spécialisation dans cette ressource - en substitution au blé et à la viande - instaure une monoculture très régressive. D’un côté, el généralise un produit génétiquement modifié qui détériore le sol faute de rotation et accentue l’érosion. L’expansion extra - pampéenne de cette spécialité a des conséquences plus dramatiques. Elle déplace la population locale, aplanit la montagne, génère la déforestation et l’expropriation des communautés de leurs terres.

Le règne du soja augmente, et donc, la vulnérabilité externe de l’économie, en renforçant la dépendance au yo-yo des cours internationaux des matières premières. Ce qui s’est passé récemment avec la Chine est révélateur de cette fragilité. Le grand client du pays a menacé de diminuer ses achats, si l’Argentine continue à résister à une plus grande ouverture aux produits fabriqués en Asie.

Ce chantage répète la pression libre-échangiste qu’imposait autrefois la Grande-Bretagne. Pour faire bonne figure avec un acheteur d’exportations de produits de base, il faut démolir l’industrie nationale. Cette condamnation ancienne recommence à planer dans toutes les négociations commerciales. La Chine exigera de plus grandes concessions et elle est déjà intéressée par le commerce pétrolier et minier.

La suprématie du soja gêne aussi l’expansion de l’emploi local. Cet impact est relativisé par les auteurs qui revendiquent “l’industrie des matières premières” dont s’entoure ce produit. Mais ils n’offrent pas de données fiables de cet effet, puisque saute aux yeux l’incapacité d’une monoculture à éradiquer la pause structurelle dont souffre l’Argentine.

En réalité, la technicisation des semences et la récolte du soja réduit aussi la demande de main d’œuvre à la campagne. Tous les éloges faits sur ce produit répètent simplement les légendes du libéralisme. Ils supposent que l’Argentine a le destin inexorable de fournir des aliments au reste de monde et que ce dessein débouchera sur une perte d’emploi et de revenus. Deux siècles d’expérience historique devraient permettre d’en finir avec ces mythes.

Le gouvernement remet en question la spécialisation du soja, mais n’adopte pas de mesures drastiques pour inverser cette primauté. Cette limitation coïncide, de plus, avec l’impulsion que les Kirchner ont donnée à l’extraction pétrolière et minière.

La mise à sac du sous-sol a commencé dans les années 90, mais elle a été intensément poursuivie par le gouvernement. L’Argentine n’a jamais été un exportateur de minerais ou de pétrole, mais maintenant elle a le régime d’industrie minière le plus néolibéral de la planète et avec l’exemption d’impôts, une pollution éhontée est facilitée . Dans le domaine du pétrole on est entrain d’atteindre un point critique avec la chute des réserves et l’absence de nouveaux gisements.

Le modèle est confronté à d’autres types de limites sur le plan financier. Les banques ont perdu leur place privilégiée après le défaut (de paiement du pays) et n’accumulent plus de profits disproportionnés. La structure bancaire s’est reconstituée avec un rôle plus important des sociétés privées nationales ou étatiques et un poids plus faible des filiales étrangères.

L’actuel système s’est rétréci et conserve des bénéfices au travers de deux activités. D’un côté fait il fait des profits avec le financement de la consommation des secteurs à moyens et hauts revenus. D’autre part il soutient la bicyclette ??? des valeurs publiques. Avec la « pesification » de la dette, les banquiers ont trouvé un bon terrain de profit.

Le gouvernement a tissé une alliance avec les banquiers locaux qui ont soutenu les Kirchner dans tous les moments d’adversité. Mais la structure financière en vigueur ne fournit pas le crédit d’investissement que requerrait un processus de ré-industrialisation. Il y a une forte liquidité, mais peu de prêts pour les projets industriels périlleux à long terme. Comme les taux d’intérêt restent élevés, le financement industriel n’apparaît d’ aucun côté.

Tous les correctifs que le gouvernement essaie sont des rustines de court terme, basées sur des réescomptes qu’acquitte l’état et qu’administrent les banques. Il y a quelques projets de réforme financière pour développer les services, déconcentrer l’activité et favoriser la bancarisation. Ces initiatives cherchent à étendre les prêts, mais ne visent pas l’industrialisation à grande échelle. Ils l’excluent, par exemple, de ré- introduire le vieil instrument de développement que sont des dépôts nationalisés.

En résumé : la tentative industrialisatrice manque d’un sujet social qui canalise l’accumulation, fait face à de forts obstacles dans l’agriculture et n’a pas le soutien de la banque. Ce cumul d’obstacles se vérifie dans les déséquilibres du modèle.

Contradictions spécifiques

Pendant la période 2002-2007 le modèle a fonctionné avec peu de perturbations. Il y a eu un niveau élevé de bénéfices et des prix élevés pour les exportations. La capacité d’achat a été aussi retrouvée avec l’amélioration de l’emploi et des revenus des travailleurs et de la classe moyenne. Comme la structure productive se maintient sans changements, une fois éliminée la capacité de réserve, cette reprise du flux de la consommation a déclenché de fortes tensions.

En 2007 les problèmes ont commencé. La forte croissance s’est ralentie, les recettes se sont tassées et la vie chère est réapparue. De plus, la préoccupation de la dette a ressurgi et la disparition de l’excédent fiscal s’est accentuée.

Ces limitations ne proviennent pas seulement des contradictions inhérentes au capitalisme, qui touchent toutes les économies. Elles n’obéissent pas non plus uniquement aux déséquilibres traditionnels d’une structure agro- exportatrice. Ce sont des dérèglements du propre modèle, qu’on a observé , par comparaison, dans d’autres pays pendant la même période.

L’inflation est le principal foyer de ces tensions. Personne ne connaît son ampleur réelle compte tenu de la déformation des statistiques introduite par le gouvernement. Cette distorsion a amplifié l’habitude de plusieurs administrateurs précédents, qui ont aussi cherché à cacher la réalité par une fiction numérique.

La cherté frappe spécialement les plus pauvres, puisqu’elle a une incidence directe sur la consommation des aliments et dilue l’allocation par enfant. Cette inflation se trouve très loin des niveaux incontrôlés des années 80 et 90, mais elle est élevée en termes relatifs. Elle dépasse de neuf fois la moyenne globale, se trouve cinq ou six fois en dessus de la moyenne des pays voisins et en 2009 est le triple de la moyenne latinoaméricaine.

Beaucoup de causes se conjuguent pour produire ce résultat inflationniste, mais les prix augmentent pour maintenir la rentabilité des grandes entreprises. C’est la raison principale du fouet ?. Les groupes capitalistes les plus concentrés assurent des bénéfices élevés, avec des limites qu’eux seuls peuvent concrétiser.

L’ inflation actuelle n’obéit pas comme par le passé au déficit fiscal, ni n’ exprime une lutte distributive. Elle reflète surtout de fortes restrictions de l’offre. Les prix sont poussés vers le haut par un stock faible de produits, devant une demande qui repart. Il n’est pas possible de satisfaire avec la même capacité existante les nouvelles demandes d’achat. Cette crise illustre un point critique de la tentative néo-developpementiste qui aspire à développer l’approvisionnement en marchandises

Une autre crise du même type a lieu avec la fuite des capitaux, puisque l’argent expatrié est soustrait de l’investissement industriel. La reprise de la production et les taux élevés de rentabilité locale n’ont pas dissuadé le départ des capitaux, ni atténué leur rythme de sortie. La masse des fonds à l’extérieur a doublé pendant les années 90 et elle est restée stable à son niveau record de 135.000 millions de dollars.

Cette fuite présente beaucoup de ressemblances avec l’inflation, puisque les deux processus retracent le comportement des classes dominantes. Devant toute perturbation, les nantis augmentent les prix et envoient l’argent à l’extérieur. Cette conduite reproduit un vieux réflexe dans la gestion des affaires menacées par l’instabilité économique ou politique. Par mémoire, tradition et impunité, l’élite bourgeoise continue à agir avec des réflexes qui limitent le cours de l’accumulation nécessaire pour un projet industriel.

Mais la principale restriction à laquelle fait face le modèle, c’ est le manque d’investissement. Cette variable s’est améliorée et a atteint un pic de 24 % du produit national brut (2007), puis a recommencé à décliner ensuite à 20 % (2009). Ces pourcentages ne suffisent pas pour maintenir un rythme de croissance de 8-9 % et limitent la reprise de la compétitivité. Le plus grand problème réside, de plus, dans l’emploi de ces fonds. Le nouveau capital se concentre dans les secteurs de l’exportation ou de la construction et non dans les domaines clés de la production industrielle.

La faible prédisposition pour l’investissement des capitalistes se traduit aussi dans la forte réduction de la dette privée. L’important excédent de devises que beaucoup d’entreprises ont obtenu fut destiné à annuler des passifs externes et à réduire l’exposition de leurs signatures. Ces décisions ont été mises en oeuvre en détériorant le réinvestissement en équipement local.

D’ où on regarde le modèle actuel n’a pas modifié le schéma de gestion classique du patronat argentin. L’habitude de chercher des bénéfices élevés avec un faible investissement demeure invariable et pour cette raison l’épuisement de la capacité de réserve a conduit à exiger de nouveaux réajustements du taux de change.

Au lieu de favoriser des avancées dans la production pour compte propre, les capitalistes cherchent à renouveler leurs profits avec les dévaluations que toute la population paie. Cette exigence a également généré beaucoup de mouvements brusques, alors qu’on connaît les conséquences néfastes d’un ajustement de la devise. Pour cette raison la précaution prédomine, malgré la dissipation lente de l’avantage du taux de changes créé en 2002.

Le gouvernement est très réticent à valider la course entre les prix et le dollar qui le détacherait de toute dévaluation. Comme son instrument unique pour freiner la cherté est le différentiel de change, il a résisté dès 2007 à toutes les pressions du patronat.

Mais les Kirchner ont donné des compensations aux groupes capitalistes avec de plus grandes allocations. Les vieilles subventions à la promotion industrielle ont été étendues par des transferts systématiques pour baisser le prix des coûts de l’énergie, du transport et des ressources de base. Il est vrai que ces allocations garantissent, aussi, des tarifs réduits pour différentes catégories de la population. Mais la priorité du favoritisme officiel est allée aux grandes compagnies.

Ce type de subventions constitue un trait de tout schéma développementiste, mais le modèle actuel essaie de le rendre compatible avec l’excédent fiscal c’est-à-dire avec une caractéristique opposée et dérivée de la faillite de 2001. A cause de la séquelle que le défaut a laissée, le gouvernement craint les conséquences d’un assèchement de la Trésorerie. Jusqu’à présent les allocations aux entrepreneurs ont détérioré l’excédent fiscal, sans récréer de menace de cessation de paiements.

Dans une certaine mesure l’équilibre fiscal s’est maintenu par l’augmentation de la recette, mais les budgets d’État de 2010 ne présentent pas l’aisance de 2006. Face à cet écueil, au lieu d’introduire des réformes fiscales progressives, le gouvernement recourt à l’endettement. Toutes les mesures adoptées depuis le premier échange (des titres de la dette) visent à récréer le financement extérieur. On a annulé la dette au Fonds Monétaire, l’échange a été réouvert et les négociations se poursuivent pour régler les passifs en suspens avec le Club de Paris.

Comme le modèle n’a pas de soutien financier, les Kirchner parient sur le crédit externe, en oubliant à quel point ce secours s’avère coûteux à moyen terme. L’endettement est aussi pernicieux que superflu, puisque avec une épargne locale on pourrait couvrir tous les besoins de la trésorerie. Ce chemin est évité pour une raison simple : il exigerait percevoir des impôts auprès des associés privilégiés du schéma actuel.

Comparaisons avec les voisins

L’économie argentine suit un cours semblable aux autres pays sud-américains et partage la dépendance régionale renouvelée envers les exportations de base. L’incidence des cours internationaux des métaux, des denrées alimentaires ou du combustible a significativement augmenté durant les dernières années.

Dans ce scénario, la place intermédiaire de l’Argentine se trouve confortée, en tant que pays qui fait partie du G 20, maintient des clients diversifiés et est un agro - exportateur de poids. C’est une économie dépendante, mais qui ne partage pas la marche inférieure occupée par les nations appauvries andines ou de l’Amérique centrale.

Le pays ne fait pas non plus partie du bloc de BRICs qui étend son poids global. Il ne gère pas de fonds souverains, ni ne compte de multinationales émergentes ou quelque leadership dans les exportations industrielles des échanges le Sud - sud. Cette place intermédiaire accroît la distance avec le Brésil, ce qui est déjà accepté comme une donnée irréversible par les élites gouvernantes.

Avec une politique économique sociale - libérale et des taux de croissance inférieurs, le capitalisme brésilien a gagné un espace régional. Avec des orientations hétérodoxes et un niveau d’activité plus élevé, l’Argentine n’a pas tourné à son avantage son déplacement. Ce résultat confirme que la politique économique constitue seulement un facteur, de l’insertion qu’a chaque pays dans la division internationale du travail.

La classe dominante argentine ne dispute pas l’hégémonie régionale avec le Brésil. Elle perd du poids à mesure que les entreprises du voisin achètent des entreprises locales sans aucune contrepartie en échange. La société entre les deux pays se consolide également, puisque le Brésil a besoin de son accompagnateur du MERCOSUR pour négocier des espaces géopolitiques et une influence commerciale. L’ Argentine conserve aussi son jeu propre, dans les accords qu’elle souscrit par exemple avec le Venezuela.

Le modèle économique en vigueur n’a pas modifié l’écart avec le Brésil qui obéit à des déterminants à long terme, dérivés de grandes différences dans les ressources naturelles, la démographie et le territoire. Le voisin a une dimension continentale quatre fois supérieure à celle de l’Argentine et il héberge une population cinq fois plus grande.

Cette inégalité n’empêchait pas jusqu’à l’après-guerre la primauté continue de la nation australe. Dans les années 60 une certaine parité économique subsistait encore, qui s’est dissipée avec la progression du produit national brut brésilien.

Plusieurs explications sur cet écart mettent l’accent sur l’obstruction principale que le lobby agraire argentin impose au développement industriel. D’autres observations notent le comportement rentier de la bourgeoisie locale, qui a été très encline à concentrer ses activités dans la spéculation financière. Cette conduite est vue comme un héritage culturel de l’oligarchie bovine, qui a légué son improductivité à tous les groupes dominants.

D’autres points de vue estiment que ces facteurs ont été moindres, en comparaison de l’absence de stabilité politique qui singularise l’Argentine. Cette fragilité a annulé les stratégies officielles les plus durables qui sont observées au Brésil et qui ont généré une bureaucratie étatique plus cohésive et articulée avec la classe capitaliste. Les dominateurs de ce pays n’ont jamais affronté, de plus, le niveau de défi social qu’a imposé la classe ouvrière argentine.

L’explication des dénivellations capitalistes entre les deux pays se trouve certainement dans une combinaison de ces arguments. Ce qui semble se confirmer, c’est l’incapacité du modèle actuel à inverser ces tendances.

A suivre...

* Claudio Katz est Économiste, chercheur, Professeur. Membre de l’EDI (Économistes de Gauche).

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