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11 juillet 2010

Cuba

par Santiago O’Donnell

 

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L’annonce par le gouvernement cubain de la libération de 52 détenus politiques dans les quatre mois , autant fêtée par la droite qu’ étouffée par la gauche, est sans doute un fait important, peut-être le plus important des dernières décennies de la vie de la révolution.

Pour cela, est aussi très important de savoir comment est comprise, et comment est interprétée cette mesure. Jusqu’à présent on connaît seulement le communiqué de l’Église cubaine et les déclarations du ministre des affaires étrangères cubain, c’est-à-dire, la voix des médiateurs. Le gouvernement cubain ne s’est pas encore prononcé à travers ses médias ou ses porte-parole, et les intellectuels qui appuient la révolution n’ont pas dit grand-chose, non plus. Reste alors, le récit des grands médias, qui comme tout récit compte une partie de la vérité, ou la vérité comme telle vue depuis une perspective déterminée.

Ils racontent que les 52 futurs libérés ont été arrêtés durant le dit Printemps Noir de 2003 et condamnés par des jugements expéditifs à des peines allant de 6 à 28 ans. Au départ ils étaient 75, mais une vingtaine ont été libérés au fil des ans pour des problèmes de santé, presque toujours dans le cadre d’un geste envers un dignitaire en visite. Plusieurs d’entre eux étaient des journalistes qui travaillaient pour des médias internationaux et ont été condamnés pour des délits de trahison à cause des articles critiques qu’ils ont envoyés par téléphone ou fax.

Alors que le gouvernement cubain soutenait que ces journalistes et ces articles avaient été achetés par des puissances étrangères, les médias qui avaient publié ces articles ont commencé à dénoncer les arrestations, générant une vague mondiale de protestation. L’intérêt sur le sort de ces prisonniers s’est ravivé en février, quand le dissident Orlando Zapata est mort dans une prison cubaine après deux mois et demi de grève de la faim. Bien que Zapata fût dans les listes de prisonniers politiques des organisations internationales de droits de l’homme, le gouvernement a dit qu’il s’agissait d’un délinquant de droit commun et a publié son casier avec des délits mineurs. Mais peu importe, parce que le jour suivant la mort de Zapata, a entamé une grève de la faim Guillermo Fariñas, un opposant prisonnier plus connu. Quatre mois plus tard quelques photos ont fait le tour du monde dans lesquelles Fariñas ressemblait à un fakir.

Pendant ce temps Cuba vit l’une de ses pires crises économiques. Durant les derniers mois elle s’est trouvée forcée de mettre en application une sorte de période spéciale, de couper la dépense étatique, y compris quelques postes très chers au régime, comme les allocations pour des cantines scolaires. La Venezuela, l’associé principal et bienfaiteur de Cuba, ne peut pas beaucoup l’aider parce qu’il est immergé, dans sa propre crise à cause de la chute du prix de pétrole.

Dans les circonstances actuelles le gouvernement cubain semble avoir décidé qu’il a besoin de l’investissement étranger pour sortir du trou. Mais au blocus des Etats-Unis, s’ajoute, la soi-disant « position commune » de l’Union Européenne, qui depuis 1996 conditionne des contacts avec l’île à l’amélioration de la situation des droits de l’homme.

Profitant que le gouvernement socialiste espagnol assume cette année la présidence de l’UE, le gouvernement cubain a cherché un rapprochement à travers de l’Église cubaine. Avec le ministre des affaires étrangères espagnol Moratinos à La Havane, l’archevêque cubain a annoncé que les prisonniers du Printemps Noir seraient libérés et envoyés en Espagne dans les quatre mois . Moratinos a félicité le gouvernement cubain et a déclaré que la « position commune » n’avait déjà plus raison d’être. Fariñas a annoncé qu’il levait sa grève de la faim.

C’est plus ou moins ce qui est publié dans les quotidiens et ce que l’on voit à la télévision et qui est transmis par Internet depuis les grands médias. La conclusion que les analystes font à partir de ce récit va de soi : il s’agit d’un acte tardif et désespéré d’un régime forcé à négocier de par son incapacité de générer de la richesse.

Alors ils demandent plus. Ils disent qu’il y a encore plus de cent détenus politiques à Cuba et qu’il n’y a pas de liberté d’expression. Ce qui sonne très bien, mais ce n’est pas si simple.

Tout critique raisonnable du régime cubain doit reconnaître au moins qu’il s’agit d’un gouvernement légitime, appuyé par l’immense majorité des Cubains, au moins de ceux qui vivent à Cuba. Et qu’ est légitime la décision des Cubains d’appuyer un régime qui accorde la priorité au bien commun par-dessus la liberté individuelle. Les réussites atteintes en matière de santé et d’éducation, spécialement quand comparés à ses voisins des Caraïbes et de l’Amérique centrale, donne du sens à cette décision.

Comme c’est de rigueur dans un pays gouverné par un régime communiste, la Constitution cubaine limite la liberté d’expression : « Aucune des libertés reconnues pour les citoyens ne peut être exercée contre ce qu’établit la Constitution et la loi, ou contre l’existence et les objectifs de l’État socialiste, ou contre la décision du peuple cubain de construire le socialisme et le communisme ».

Jusqu’à présent Cuba n’avait jamais accepté l’existence de prisonniers politiques. Les prisonniers étaient bien en prison parce que c’était des agents déstabilisateurs au service des puissances étrangères. Et les lois cubaines, ces lois qui ont servi à défendre la révolution du terrorisme Made in Miami, lui donnaient raison. « Les lois (en vigueur en Cuba) sont si vagues que presque tout acte d’opposition peut être criminalisé de quelque façon, c’est pourquoi il est très difficile que les activistes parlent contre le gouvernement », a dit Kerrie Howard, directrice adjointe pour les Amériques d’Amnistie Internationale.

« Le Code pénal établit un rang de vagues actes criminels qui peuvent être utilisés pour faire taire la dissidence, comme « danger social », « propagande ennemie », « méprise l’autorité », « résistance », « diffamation des institutions nationales » et « impression clandestine » », remarque-t-elle dans le dernier rapport sur Cuba d’AI.

C’est pourquoi l’annonce des libérations cette semaine équivaut ni plus ni moins qu’à la reconnaissance tacite de la part du gouvernement cubain de l’existence de prisonniers politiques dans son pays. Parce qu’ils auront été arrêtés pour des actes criminels, mais ils seront libérés comme fruit d’une négociation politique.

Cela n’a pas du être une décision facile, surtout parce qu’il était prévisible que les grands médias mettraient l’accent sur le supposé opportunisme et la supposée faiblesse du régime. Avec un géant comme les États-Unis à l’affût, prêts à transformer l’expérience cubaine en shopping gigantesque. Avec le triste souvenir de la révolution molle battue au Nicaragua. Avec Fidel malade et Raul près de la retraite.

Je pensais à cela quand par hasard je suis tombé sur un petit encadré d’une page perdue de la revue Time, à propos de rien. L’encadré citait le rapport annuel 2010 d’Amnesty International. Il disait que trente pour cent des 153 pays inclus dans son rapport maintiennent des prisonniers d’opinion. C’est à dire, des prisonniers politiques. Plus choquant encore, il disait que quarante-deux pour cent des pays du G-20 (les plus importants) ont des prisonniers d’opinion. C’est bon : mal de plusieurs, consolation des sots. Mais pour quelque raison seulement les prisonniers cubains ont bonne presse.

En lisant le rapport AI, dans sa section consacrée à Cuba, apparaît une autre donnée intéressante, que les chroniques des journaux ont oubliée : selon Amnesty, en mai 2010 à Cuba avait « au moins 53 prisonniers d’opinion. » Le nombre coïncide exactement avec les libérations annoncées depuis ce temps-là, si la libération d’un dissident est prise en considération le mois passé pour raisons de santé.

À la différence d’autres organisations citées par les grands médias, qui n’hésitent pas de placer le chiffre des détenus politiques à Cuba au-dessus de 170, Amnesty, explique le rapport, révise soigneusement les casiers judiciaires des prisonniers avant de les déclarer des prisonniers d’opinion.
En d’autres mots, si ne sont pas identifiés de nouveaux cas, Cuba devrait sortir de la liste d’Amnesty Internationale l’année prochaine, tandis qu’un groupe important de pays, y compris certains des plus puissants, y resteront.

Regardant depuis cette perspective, la décision du gouvernement cubain, plus qu’un signe de faiblesse, est un signe de force. Un signe d’ un gouvernement qui s’est occupé comme aucun autre des droits sociaux de son peuple, qui maintenant se permet aussi d’élever les droits de l’homme de ses citoyens à la norme internationale, en inaugurant une nouvelle étape, plus ouverte, plus confiante et plus tolérante, de la révolution.

Alors la réaction logique serait de célébrer l’initiative cubaine et de prier instamment d’autres pays violeurs de suivre son chemin. Mais il est difficile d’imaginer la même agitation qui s’est mobilisée sur Cuba pour que l’Indonésie, la Chine ou l’Israël libèrent leurs prisonniers politiques. Ou de lancer un blocus international des États-Unis jusqu’à ce qu’Obama honore sa promesse de fermer la prison du Guantanamo et de porter devant la Justice les assassins, les tortionnaires et les pirates de l’air surgis de leur politique de « guerre contre le terrorisme ». Mais non, le focus médiatique n’est pas fait sur les prisonniers politiques, mais sur les péchés de Cuba.

Il serait bête de refuser que dans la révolution, entre tout le bon, plusieurs choses, beaucoup, peu, certaines, grandes, petites, ont été mal faites. Ou ont été ratées, ou n’ont jamais aboutis, ou ont échoué. Mais les Castro n’ont pas besoin d’être prodigues pour chercher des arguments pour accuser d’hypocrites le chœur médiatique qui répète toujours la même chanson.

Página 12. Buenos Aires, le 11 Juillet 2010.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

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