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9 septembre 2003

Contre l’Ordre Marchand Capitaliste

 

Par Michel Husson
lundi 25 août 2003,

Le prochain sommet de l’OMC va se tenir à Cancun du 10 au 14 septembre. C’est l’occasion de rappeler les nombreuses raisons de se mobiliser contre cette monstrueuse machinerie impérialiste. La cinquième conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est la première du nouveau cycle ouvert en novembre 2001 à l’issue de la conférence de Doha, et qui doit s’achever fin 2004. C’est pourquoi l’ordre du jour est très chargé, avec trois principaux dossiers : les échanges agricoles, les services (AGCS) et la propriété intellectuelle (OGM et surtout médicaments).

L’OMC, créée en 1994, est un instrument clé de la mondialisation impérialiste. Sa philosophie repose sur un intégrisme libéral absolu qui consiste à affirmer que la pleine liberté des marchés est la condition nécessaire et suffisante pour obtenir l’« optimum », autrement dit le meilleur des mondes. Sur le marché mondial, il faut donc faire sauter tout ce qui encadre et réglemente le commerce et les mouvements de capitaux. Dans chaque pays, il faut éliminer les sources de « distorsion », que sont les services publics et la codification des droits sociaux. Tel est le but à atteindre que l’OMC, véritable agence inter-impérialiste poursuit avec une obstination sans faille. Il ne faut pas s’y tromper : chaque pas en avant dans la libéralisation doit conduire au suivant et aucun secteur n’est tenu à l’écart. Le traité de Marrakech, dont l’OMC est issue, contient même des clauses d’irréversibilité extravagantes qui rendent tout retour en arrière à peu près impossible Les échanges mondiaux ont de toute évidence atteint une intensité souvent irrationnelle et cela suffirait à critiquer les objectifs de l’OMC. Cependant le combat altermondialiste ne repose pas sur un refus de principe du commerce, mais plutôt sur le rejet d’un projet totalitaire qui conduit à la régression sociale et au chaos économique. C’est sans doute la critique la plus forte : les préceptes libéraux ne conduisent pas à cette « mondialisation heureuse » que promettait Alain Minc, mais à un fonctionnement de plus en plus chaotique. Aucune réponse satisfaisante n’est apportée à des problèmes systémiques comme ceux de l’environnement, de l’énergie ou de la santé publique au niveau international. Les choix prétendument efficients font de plus en plus la preuve de leur inefficacité propre, dès lors qu’on de réfère à d’autres critères que la rentabilité immédiate.

Enfin, cette mondialisation se traduit par un énorme creusement des inégalités à travers le monde. Pour ne donner qu’un seul chiffre, les 20 % les plus pauvres de l’humanité reçoivent aujourd’hui 1,3 % du revenu mondial, contre 2,3 % il y a 30 ans. La raison essentielle est que, contrairement au dogme libéral, les pays du Sud ne jouent pas dans la même catégorie que ceux du Nord : les effets nets de leur insertion sont globalement négatifs comme l’illustre le cas du poulet au Sénégal (voir encadré).

Une institution impérialiste

Les mobilisations autour de Cancun devraient être l’occasion de prendre conscience d’un fait souvent relativisé : l’Union européenne, représentée en tant que telle à l’OMC par le socialiste Pascal Lamy, est une puissance impérialiste. Ses tensions avec les Etats-Unis sont des contradictions inter-impérialistes. Pour le reste, les grands groupes européens ne sont pas moins intéressés à profiter de la privatisation des services publics : il suffit d’observer Vivendi ou France Télécom. L’Union européenne joue un rôle actif, et a préparé Cancun en faisant pression sur les pays du Sud pour qu’ils acceptent l’ouverture de leurs services publics en échange de la baisse des subventions européennes à l’agriculture, qui défavorisent leurs exportations (The Guardian, 15 février 2003). L’Europe marque un intérêt particulier pour le marché de l’eau, y compris dans un pays comme la Bolivie, où les luttes contre la privatisation ont pris une grande ampleur. « Désolé, je ne peux pas faire ça en public » : on comprend mieux le droit à négocier en secret revendiqué par Pascal Lamy (Les Echos, 13 décembre 2002).

L’Union européenne, ou chacun de ses pays membres, imposent à leurs partenaires du Sud de nombreux bilatéraux ou régionaux - par exemple les accords Euromed avec les pays du Maghreb - qui valent bien l’Alca en Amérique latine. Ces accords vont souvent plus loin que l’AGCS et reconstituent discrètement l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement) que les mobilisations altermondialistes avaient envoyé aux oubliettes. Dans ce rapport de domination parfaitement asymétrique, l’Union européenne, qui participe en tant que telle aux négociations, est donc clairement du côté des dominants. Cancun devrait donc être l’occasion de ne pas oublier que l’anti-impérialisme ne se réduit pas à un anti-américanisme un peu étroit. Que faire de l’OMC ? Elle est conçue pour la marchandisation du monde, et nous pensons que le monde n’est pas une marchandise. A partir du moment où elle repose sur un postulat intrinsèquement pervers, on ne voit pas bien comment on pourrait la réformer. Les arguments en faveur d’une telle orientation soulignent qu’il s’agit d’une institution plus démocratique que le FMI puisque chaque pays y dispose d’une voix ; qu’elle ne donne pas toujours raisons aux Etats-Unis ; enfin que mieux vaut une institution que la dérégulation totale prônée par les libéraux extrêmes. Ces sophismes, typiques de la résignation sociallibérale, sont faciles à démonter. Il faut d’abord être naïf, (ou cynique) pour ignorer les fantastiques pressions que subissent les pays du Sud ; que l’OMC soit un lieu de règlement des différends interimpérialistes ne transforme pas sa nature ; enfin il va de soi que la lutte contre l’OMC se mène au nom d’un autre ordre mondial plus solidaire et garantissant mieux la souveraineté des pays dépendant qui, lui aussi, aurait besoin de ses propres institutions.

Médicaments

« Nous convenons que l’Accord sur les ADPIC [Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce] n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique ». Il avait fallu des heures de négociation avant et pendant le sommet de l’OMC de Doha de novembre 2001, pour reconnaître que la santé publique pouvait primer sur les « droits de la propriété intellectuelle ». Cette concession à la simple humanité laissait cependant une question en suspens, celle des conditions d’approvisionnement de la majorité des pays pauvres, incapables de produire eux-mêmes des génériques bon marché.

Les groupes pharmaceutiques ont brandi la menace de réexportations de génériques vers les pays du Nord pour limiter les dérogations aux pays producteurs. Ils ont fait pression aussi pour limiter strictement la liste des maladies concernées. Un compromis avait été trouvé avec le « texte Motta » (du nom de l’Ambassadeur mexicain) qui ne répond qu’imparfaitement aux besoins des pays du Sud puisqu’il exclut des pathologies aussi graves que le cancer ou le diabète. Il a de toute manière été refusé par les Etats-Unis en décembre 2002. En soutien fidèle de l’industrie pharmaceutique, ils ont jugé « trop souple » la clause selon laquelle « chaque Membre a le droit de déterminer ce qui constitue une situation d’urgence nationale » en matière de santé publique.

C’est un débat fondamental sur la santé comme bien public qui va donc se dérouler à Cancun, avec des enjeux concrets. La mobilisation autour du sommet peut empêcher qu’il mette durablement hors-la-loi des politiques de santé réellement soucieuses des besoins de milliards d’être humains. L’OMC n’a aucune légitimité en ce domaine. Ses dérogations sont nos priorités.

L’agriculture

La libéralisation des échanges agricoles sera un des principaux points de l’ordre du jour à Cancun. Ce dossier comporte deux grands volets. Le premier est la rivalité entre les Etats-Unis et l’Europe qui se reprochent mutuellement leurs subventions (respectivement 52 et 88 milliards de dollars). Elle avait contribué à l’échec de Seattle et failli faire capoter Doha. Les pays du Sud et le groupe de Cairns (17 pays exportateurs dont l’Argentine, l’Australie et le Brésil) avaient exercé une pression commune sur le thème de ces subventions et de l’accès aux marchés du Nord. Quelques promesses avaient été obtenues en échange de la mise en place de ce nouveau cycle de négociations, sous le titre flambant de « Cycle du développement ». Ce second volet Nord-Sud met le doigt sur les effets nuisibles des politiques des grandes puissances : alors que l’accès à leurs marchés est contingenté, les Etats-Unis et l’Europe inondent le reste du monde de leurs surplus subventionnés à prix artificiellement cassés.

Fanny Pigeaud, dans Libération du 5 août, a bien démonté ces mécanismes dans le cas du poulet au Sénégal. Les nouveaux tarifs douaniers imposés par l’OMC et par le FMI interdisent de protéger cette industrie qui se trouve alors directement en concurrence avec les excédents subventionnés : le kilo de volaille importé vaut 250 Francs CFA alors que la production locale est à 1200. Le cercle vicieux s’enclenche très vite : perte de revenus ou faillite pour les producteurs nationaux, et déficit commercial creusé.

Cancun risque d’être un nouveau marché de dupes. Comme par hasard, une proposition commune des Etats- Unis et de l’Union européenne a été conclue au dernier moment (le 13 août dernier). Elle reste très vague mais simule une convergence qui pourra ensuite être imposée aux autres pays membres, en essayant de faire passer en douce la légalisation des OGM. 

L’AGCS

L’Accord Général sur le Commerce et les Services, signé en 1994, vise à libéraliser les services. Chaque pays négocie une « liste » qu’il « offre » à la libéralisation : il s’engage alors à garantir un libre accès à ses marchés et une égalité totale de traitement à l’égard de n’importe quel autre pays. Les services publics sont clairement visés à l’article 8 : « chaque Membre fera en sorte que tout fournisseur monopolistique d’un service sur son territoire n’agisse pas, lorsqu’il fournit un service monopolistique sur le marché considéré, d’une manière incompatible avec les obligations du Membre ». Certes, l’article 1 exclut les services « fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », mais cette catégorie se réduit à « tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ».

La santé ou l’éducation sont donc dans le champ de l’AGCS.

Là encore, Cancun devrait être l’occasion de rééquilibrer les points de vue. En Europe, le processus de libéralisation est porté par les institutions européennes, et la « liste » offerte par l’Union européenne est en deçà du degré de libéralisation d’ores et déjà atteint sur le marché intérieur. L’AGCS est donc avant tout un accord impérialiste qui pèse sur les pays du Tiers monde soumis à ce contrat léonin qui signifie la mise en coupe réglée du secteur des services publics, très souvent au profit des groupes multinationaux, y compris européens.

Rouge n°2029, 4 septembre 2003

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