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11 avril 2008

« C’est traqué, c’est comptabilisé, et c’est suivi »

Communication virale, vide juridique :
Flicage privé sur Internet.

 

Mise sous surveillance des sources, maillage, évaluation de l’audience des cibles, infiltration des forums : Philippe Duhot, expert en « communication virale » sur Internet, travaille principalement pour des marques. Il a proposé sans succès ses services à l’UMP en 2007, et défend la liberté d’intervention de l’Elysée dans la blogosphère. Il n’hésite pas à faire intervenir ses salariés sur les forums « qui vont en leur nom poster des choses » pour ses clients.

Par Karl Laske
Libé
, Paris, le 10 avril 2008.

Vous travaillez dans une agence spécialisée dans la gestion de réputation, et la communication virale. En quoi consiste la communication virale ?

Philippe Duhot : La communication virale consiste à développer des programmes de communication qui puissent fonctionner de bouche à oreille. Les gens ont tous une personne, et cette personne-là va devenir un relais porteur du message et le faire partager autour d’elle. Donc à la base, ça a toujours existé la communication virale, sauf qu’aujourd’hui, avec les outils modernes comme Internet, évidemment, ça prend une ampleur tout à fait différente... Comment on fait ? Alors l’idée, c’est d’utiliser des médias viraux qui permettent cette propagation, le principal aujourd’hui, c’est Internet. Ensuite c’est trouver des idées et des mécaniques qui peuvent donner envie aux gens, par la surprise, par l’affinité, par la proximité, de dire "tiens c’est vraiment sympa, j’ai envie de la faire passer, je vais en faire profiter mon réseau" et de le diffuser comme ça.

Vous pouvez nous donner des exemples ?

Quand on a lancé le nouveau service Canal Plus, la vidéo à la demande, qui s’appelle Canal Play, sur Youtube, on a lancé un certain nombre de vidéos à objectif viral qui permettaient de communiquer sur les avantages et les intérêts de Canal Play. Ce n’était pas un vrai spot de pub en tant que tel, mais avec décalage et humour, ce qui fait que les gens qui ont visionné et reçu la vidéo pouvaient le télécharger, le faire passer à des amis, le transmettre. Ca a été d’abord envoyé par mailing list, ensuite en le postant sur différents sites, ensuite en travaillant des partenariats où ces films-là étaient mis en avant. Donc c’est typiquement autour d’idées un peu rigolotes.

Vous pouviez en mesurer l’impact ?

Jusqu’à un certain point. Quand c’est sur un site tel que Youtube, on voit qui télécharge, combien le visionnent, ect… On voit donc effectivement les retombées. Maintenant quand les gens le téléchargent et le rediffusent, c’est plus compliqué. Il existe des outils qui permettent d’avoir un tracking assez précis et de pouvoir suivre où et quand sont repostées ces vidéos. Quand les vidéos sont téléchargées sur un ordinateur personnel, et diffusées par voie de mail, c’est un peu plus compliqué pour pouvoir traquer. Mais dès lors que c’est repris sur un blog ou sur un site, c’est traqué, c’est comptabilisé, et c’est suivi.

A partir d’une mailing liste on comprend, mais est-ce que vous déposez aussi sur des forums ?

Oui, effectivement, on peut tout à fait le déposer sur un forum. Après on respecte les règles déontologiques des forums en question, on est vraiment contre le spamming. Tout ce qui est attitude agressive ou détournée se retourne très vite contre celui qui le fait. On peut le proposer et le développer, on peut aussi travailler avec des partenariats, par exemple avec des sites étudiants comme Studyrama. On va les voir, on leur dit qu’on a tel support de communication, qu’on aimerait pouvoir le valoriser autrement que dans une capsule publicitaire, comment est-ce qu’on peut faire, comment est-ce qu’on peut travailler ensemble, est-ce qu’on développe un jeu avec, ect… C’est une approche qui est plus qualitative et moins intrusive que la publicité classique sous forme de bannière habituelle.

Hors partenariats, vous faites comment pour entrer sur les forums ?

Soit on entre en communication directe avec les responsables du forum et on échange avec eux pour voir s’il est possible de faire quelque chose. Soit si le contenu est complètement en adéquation, on s’inscrit, on a des gens avec qui on travaille qui sont déjà inscrits sur un certain nombre de forums, et qui vont en leur nom poster des choses.

C’est « viral » aussi parce que vous n’indiquez pas forcément le produit.

Il y a des communications sur lesquelles le produit est indiqué complètement et d’autres où au contraire, c’est relativement teasing. Là, le spot renvoie sur un site où il y a une révélation, c’est le principe teasing-révélation qui a toujours existé en publicité et qui fonctionne aussi souvent mieux en communication online. C’est souvent assez compliqué à faire entendre à l’annonceur qui aime bien que son message soit tout de suite porteur de sa marque et de son offre. Et on se rend compte bien souvent que ça fonctionne mieux quand c’est travaillé en deux temps.

Mais vous travaillez exclusivement pour des marques, ou dans d’autres domaines, sociétaux ou politiques ?

Alors on travaille essentiellement pour des marques, on est une agence de publicité. Maintenant, on est amené à intervenir aussi pour des marques qui n’ont pas forcément les mêmes moyens, et qui développent des services pseudo caritatifs, pas 100% commerciales et qui n’ont pas de gros moyens d’investissement. Par exemple récemment on a travaillé pour Soliland qui est un système d’achat en ligne, un guide d’achat, qui permet lorsqu’on achète à travers Soliland, qu’une partie des achats soient reversés à des associations. C’est une petite boîte qui se lançait, on a décidé de travailler avec eux et de les aider à lancer leur communication et pour le coup, on a choisi un axe très « réseaux sociaux » pour les aider. Donc on pris une page sur Myspace, on a mis en place une figure emblématique qui entrait en conversation directe et interactive avec les différents internautes, des actions sur Facebook, ect… On a essayé de développer un ferment communautaire autour d’une idée, d’une vision, d’un engagement, qui avait certes un but commercial mais pas uniquement.

Vous avez en réalité des salariés qui sont inscrits dans différents forums et qui peuvent intervenir ?

Oui, tout à fait. Et de plus en plus, maintenant ce qu’on encourage, parce que c’est comme ça que ça marche le mieux, et en plus c’est plus honnête et plus efficace, c’est que les annonceurs se structurent eux mêmes pour pouvoir intervenir directement, à visage découvert. En ce moment, on est en train de travailler pour Ricard, qui a un groupe de fans sur Facebook.

Vous faites aussi de la gestion de réputation, alors c’est avec les mêmes moyens ? J’imagine que c’est potentiellement la même chose, on a un client qui s’estime affaibli et on va un peu le soutenir, c’est ça ?

Alors oui, ça peut-être ça, sauf que nous on essaie de… alors pour l’instant on prêche un peu dans le désert, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, en terme de réputation sur Internet, les marques commencent à s’inquiéter dès lors qu’il y a crise, ils s’aperçoivent qu’il y a un problème, qu’une information leur échappe, des groupes de pression se forment, et commence à se répandre...

Par exemple Société Générale contre Kerviel : les internautes soutiennent Kerviel...

Forcément c’est toujours le pot de terre qu’on soutient contre le pot de fer, ce qui est normal. Après, on voit que les communications se répandent un peu partout et on a pas de maîtrise. C’est à ce moment-là que les annonceurs commencent à s’inquiéter. Dans ce cas de la Société Générale, je pense qu’ils ne se sont pas tellement inquiétés de savoir ce qui se passait sur Internet. Mais sur d’autres sujets, ils s’intéressent tout de suite à ce qui se passe parce que ça va vite et ça prend une ampleur importante. Alors dans ce cas-là il y a des outils de tracking.

Alors le tracking, est-ce que vous pouvez donnez une définition ?

C’est une observation, une photo de ce qui se passe sur Internet autour d’une marque, ce qu’on dit d’elle en positif ou en négatif. Il y a soit un principe de requêtes a posteriori : on tape un certain nombre de mots, on voit ce qui remonte et on fait le tri, on déplace le projecteur sur différentes sphères de conversations. Ou alors, ce qu’on fait et qui est mieux, c’est de travailler le tracking à long terme qu’on met en place avec un travail de sourcing. On dit voilà, on est dans quel domaine, quels sont les médias officiels et officieux qui traitent de ces sujets, de manière régulière ou occasionnelle.

Vous incluez les blogs ?

Bien sûr. Il y a des outils spécialisés là-dedans, qui permettent d’affiner et de traquer, de repérer les sources d’informations où ces infos sont là en premier, et de les mettre sous surveillance. Et dès qu’une nouvelle information en commentent une autre qui vient d’une autre source qui n’est pas traquée, à ce moment-là on va observé cette source-là aussi, on l’analyse et on regarde si oui ou non, elle vaut le coup d’être ajoutée au sourcing. C’est un travail qui doit se faire en amont, évidemment de manière très étroite avec l’annonceur, et qui permet un travail de fond. Alors ça, c’est la première phase : une mise sous surveillance des sources influentes, pour une marque donnée ou un domaine d’activité donné.

Ensuite la deuxième phase c’est l’analyse. Il s’agit déjà de pouvoir analyser si une information est plutôt positive ou négative. Là, on fait intervenir de l’humain. Des gens vont, en fonction des synthèses qui remontent, pouvoir donner une orientation. Ils doivent donc bien connaître le domaine pour pouvoir dire si oui ou non, ça semble être plutôt positif ou négatif et dire s’il y a un risque ou pas. Ensuite ce qui est intéressant, c’est de pouvoir évaluer l’audience de chacune des cibles. On se rend compte qu’il y a des blogs qui ont beaucoup plus d’audience qu’un site officiel de presse par exemple. On se rend compte également en analysant la chaîne de diffusion dans le temps, que dans tel ou tel domaine, il y a deux ou trois blogs experts à l’initiative de 80% des informations, et qui sont repris ensuite par d’autres médias un peu plus généralistes. Du coup, on sait quelles sont les sources clés à surveiller, dans le bon sens du terme hein, c’est pas du flicage, c’est juste pour pouvoir avoir l’information le plus tôt possible. Troisième élément qui est intéressant : une fois qu’on a ce maillage et qu’on voit à peu près quels sont les cycles de circulation des informations influentes, on peut intervenir presque directement auprès de ces sources-là pour voir si, oui ou non, on peut engager une relation et une conversation. Les marques ont intérêt à ne pas rester dans l’observation, mais de commencer à pouvoir dialoguer, à pouvoir alimenter, et finalement on arrive dans un espèce d’échange qui peut être intéressant entre des experts...

Des infos sur les forums ?

Ca peut être des informations online ou même une relation offline...

Prenons un autre exemple, dans l’actualité parmi les gestions de réputation, il y a celle de Nicolas Sarkozy, les embrasements… C’est un secret de polichinelle que les partis ont organisé des cellules pour intervenir sur les forums ? Vous vous positionnez comment par rapport à ça ?

Quand Nicolas Sarkozy est arrivé à l’UMP, il y a eu grand appel d’offre pour mettre à plat toute la communication online de l’UMP. On s’est retrouvé en finale, on a pas été pris. On n’a jamais su pour quelle raison. Il est clair en tout cas que tout ce qui est manipulation, nous on le rejette totalement. Ca existe et ça existera toujours, surtout en politique...

Vous parliez de cet appel d’offre pour dire qu’on vous avait demandé ce type de prestations...

On nous avait demandé de savoir comment intervenir sur la toile pour fédérer des groupes de sympathisants.. Et comment diffuser des infos...

Sur des forums ?

Oui absolument sur des forums.

Ce parti mettait donc en place à l’époque des équipes d’infiltration de forums ? Ou était à la recherche de méthodes pour le faire ?

Ils étaient à la recherche de méthodes de propager la pensée de l’UMP par différents moyens sur internet.

Y compris les forums ?

Y compris les forums. En en créant eux mêmes, en invitant les gens à venir dessus, en proposant aux nouveaux membres de créer leur blogs et forum...Sur le brief, c’était quels sont les moyens légaux de le faire ? Nous, on a une déontologie qui est de dire, toutes les manières, ce qui fonctionne c’est la transparence et l’honnêteté. A partir du moment où l’on commence à manipuler les gens. Comme sur les forums : si un sympathisant UMP vient sur un forum, il y a une autocritique qui se fait tout de suite, soit il respecte la règle du forum, soit il outrepasse sa position et il est vite fait exclu du forum...

Non mais c’est aussi organisé par les partis.

Oui. Bien sûr c’est organisé. Jusqu’à un certain point. Les gens sont pas dupes quand ils sentent qu’il y a de la manipulation, de plus en plus ils sont avertis… c’est comme en pub, on est éduqué…

Ca peut fonctionner pareil que ce que vous nous avez décrit un peu plus tôt, c’est-à-dire que vous avez certains outils de surveillance, vous allez sur les lieux qui discutent et puis vous discutez.

Oui bien sûr.

Pour aller sur un sujet un peu plus d’actualité, Nicolas Princen, vous croyez qu’il peut quelque chose pour Nicolas Sarkozy ?

J’en sais rien.

A sa place vous feriez quoi ?

J’en sais rien moi...

Il y a une diffusion énorme d’infos et de discussions sur le Président. La nomination d’un professionnel en gestion de réputation pour une personnalité comme ça, ça parait a la fois dérisoire - parce qu’est ce qu’il pourra faire avec les moyens qu’il a ? - et inquiétant, parce qu’au fond il a quand même les moyens de l’Etat...

Loic Le Meur est aussi intervenu. Je comprends qu’on puisse s’inquiéter, en même temps, on peut pas reprocher aux gens qui ont un rôle important en matière de communication de ne pas essayer de comprendre, appréhender la manière dont on communique aujourd’hui... Je ne vois pas pourquoi les politiques devraient rester dans un système archaïque. A partir du moment ou l’info est à un autre niveau, avec un autre dialogue, avec la dictature du temps réel, la communication directe one to one... Je vois pas pourquoi sous prétexte qu’on est politique on pourrait pas le faire, l’opposition le fait également.

Sauf que là ce qu’on peut objecter, c’est que ce serait avec les moyens de l’État. C’est un peu différent, parce qu’avoir des outils de surveillance, de tracking, c’est quand même particulier quand on est à la tête de l’État...

Oui mais attention, ça devient une surveillance acceptée par celui qui s’expose. Personne n’est obligé de tenir son blog et de développer des infos... Quand on publie dans la presse, ou sur les blogs, ça part du même principe : on a envie d’avoir une audience. Donc si quelqu’un l’observe et la scrute, c’est la règle du jeu, c’est pas écouter en douce une conversation téléphonique, c’est juste en traquant ce qu’on met à la disposition de tout le monde...

C’est sur le stockage des infos que ça parait un peu liberticide. Si vous stockez des infos sur 30 blogs anti Sarkozy, qu’est ce que vous en faites après ? Ce n’est pas des journalistes, c’est des citoyens. C’est même pas de la revue de presse...

Effectivement, le débat sociétal peut être ouvert sur ce sujet, on peut y voir un risque. Maintenant j’ai quand même l’impression que quelque part, il y a un peu le sens de l’histoire qui fait que oui, ça va exister, les moyens sont différents, autres que ceux qu’on a connus par le passé, finalement presque plus transparents, peut-être aussi plus industrialisés qu’avant... On peut pas lutter contre l’évolution, les technologies elles sont là, accessibles a tous. L’État va aussi les utiliser. Maintenant soyons vigilants...

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