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28 août 2008

Celia Hart : "Je crains que Cuba suive la direction de la Chine"

par María Laura Carpineta

 

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Hart se montre sceptique sur les réformes que Raul Castro réalise dans l’île. "L’assouplissement de la petite propriété privée, avec les locations et les crédits, me donne un peu d’allergie", avoue cette admiratrice de Fidel.

Elle s’est définie comme une fanatique de "tout ce qui sent, sonne ou ressemble à Fidel Castro". Mais son aversion au dogmatisme lui a valu la désactivation(étape préalable à la radiation) du Parti Communiste Cubain il y a deux ans. Avec un sourire imperturbable et une émotion presque adolescente, Celia Hart essaie d’expliquer pourquoi elle n’est pas une contradiction sur pattes. "C’est comme le dit Fidel, il faut changer tout ce qu’il faut changer, mais il y a des choses que tu ne peux pas changer, des choses que nous avons gagné avec beaucoup de travail et d’effort", a expliqué cette professeur de physique de 46 ans à Pagina 12, quelques heures avant de participer comme invitée spéciale au VI eme Congrès du Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST).

Fille et nièce de leaders historiques de la Révolution qui se sont battus coude à coude avec les Castro dans la prise de la caserne de la Moncada, Celia Hart connaît tous et chacun dans le gouvernement et le parti. "En coulisse ils m’aiment et m’appuient. Mais je suis toujours la maîtresse ; personne ne veut se marier avec moi", plaisantet-elle. Son père, Armando Hart, fut le Premier ministre de Culture de la Révolution et il est resté vingt ans à ce poste. Il a alphabétisé toute l’île et pour cela il continue d’être un intellectuel incontestable à l’intérieur et en dehors du gouvernement. Sa mère, Haydée Santamaria, a été l’une des deux femmes qui ont participé l’attaque de la Moncada et elle fut [la fondatrice et] la première présidente de la Casa de las Américas . Elle, comme sa fille, ont lutté contre la pensée unique, mais oui, toujours depuis l’intérieur de la Révolution.

Comment as-tu vécu les changements après la maladie de Fidel ?

Pour plusieurs parmi nous sentir que le président de notre pays n’est pas Fidel cela a été très fort. Je dis toujours que Cuba est l’unique pays où un révolutionnaire est le président. Tous les autres pays ont des présidents tirés par les cheveux ou par les élections, mais sorti d’un vrai processus révolutionnaire, aucun. C’était un luxe que nous avions.

Est-ce que Raul n’est pas un leader révolutionnaire ?

Le compagnon Raul est un leader très, très précieux, qui a réussi beaucoup de choses dans la partie interne du gouvernement. A l’époque dure de la Période Spéciale, dans les années quatre-vingt-dix, il a réalisé une politique économique qui a fonctionné très bien. C’est un peu ce que les gens attendent maintenant, je crois.

Plus de changements économiques ?

J’avoue que je suis une personne un peu pessimiste. Les mesures qu’ils prennent aujourd’hui visent surtout une amélioration des conditions des petits paysans. Ils vont donner les terres avec un usufruit pour dix ans ou plus, ils vont aider les paysans à semer... ils veulent prioritairement s’attaquer au problème de l’alimentation. Après la catastrophe qui a provoqué la chute du mur de Berlin, la campagne s’est réduite et nous le vivons très, mais très mal. La nourriture à Cuba est extrêmement chère. L’autre grand changement est l’assouplissement de la petite propriété privée, avec les locations et les crédits. Ces choses me donnent un peu d allergie. Je ne les repousse pas, mais elles me font, au moins, éternuer.

Quel est le problème ?

Par exemple, ils vont inclure les cuentapropistas (ceux travail à leur compte) dans le système de pensions, ce qui me paraît très bien. Ce sont ceux qui fournissent des services pour leur compte, mais ils paient des impôts : des plombiers, des chauffeurs de taxi, des propriétaires de restaurants ou de petites commerçants... Bah, en réalité ils sont petits mais ils gagnent beaucoup plus qu’un travailleur de l’État. De là est le conflit. La contradiction qui s’est créée consiste en ce qu’il y a eu un assouplissement pour les premiers, mais pas pour ceux qui travaillent pour l’État. Pour ceux-ci l’âge de la retraite va augmenter, de 60 à 65 ans. Je ne veux pas dire qu’ils restent relégués, mais j’espère qu’il y a aussi une compensation, une augmentation de salaires, par exemple.

Es-tu une fonctionnaire.

Je suis professeur universitaire. Je suis aussi femme de lettres et on me paye quelques livres. J’ai vendu des oeuvres d’art de ma mère, c’est de là que je tire mes dollars. Avec mon seul salaire de professeur, qui est élevé, de 700 pesos, il me serait difficile d’arriver à la fin du mois. Mais la vérité est que l’on gagne plus que son salaire à Cuba. Personne ne paie sa maison, la lumière est subventionnée, l’éducation et la santé sont gratuites. Tous reçoivent un panier de base qui couvre les dix premiers jours du mois,c’est vrai. A Cuba, malgré tout, personne ne meurt de faim.

Crois-tu que doit-on aussi libéraliser les salaires étatiques ?

Non, je suis d’accord avec la limite salariale de l’État. Ceci est très bureaucratique, mais au moins garde une ligne pour tous les travailleurs ; je disais : personne ne peut s’enrichir plus que cela. Mais aujourd’hui, comme ce n’est pas suffisant, l’institutrice après avoir fait ses cours doit aller faire une manucure ou couper des cheveux. Et c’est là que le conflit se crée. À quelle activité va-t-elle donner plus d’importance ? Eduquer ou le travail qui lui laisse plus d’argent et lui permet d’attendre mieux la fin du mois ou de s’acheter une bière ou de sortir pour manger dehors ? J’ai peur de ce que nous suivions le chemin de la Chine, où le Comité Central a fini par dire que tout le monde devait s’enrichir et maintenant des milliardaires dirigent le parti.

Mais les réformes du gouvernement de Raúl n’ont pas créé ces différences sociales, mais elles les ont simplement blanchies...

C’est certain, cela existait et tous le savaient : pourquoi faisons-nous les sots ? Le plombier qui vient réparer une maison est un particulier et il faut le payer. La différence, je crois, est plus philosophique. Fidel, comme un dur qu’il était, a accepté les travailleurs à leur compte mais à contrecœur, à peine comme une politique transitoire. Mais il était nécessaire de faire les changements que Raul a faits. Les travailleurs à leur compte sont déjà acceptés par la société et par le propre Parti Communiste. Si on en restait même là, là où on est, il n’y a pas de problème. Mais ma crainte c’est que, en plus d’être légalisé, cela s’accentue.

Mais il semblerait que les Cubains veulent plus...

Oui, ils aspirent à plus, mais c’est grâce à la Révolution, qu’ils ont un bon niveau d’éducation. Ici à Cuba tous savent quelles sont les choses qui leur manquent. C’est pourquoi est arrivé toute cette histoire des portables, des hôtels... J’ai beaucoup critiqué ces mesures. Ce sont des choses que l’on résout facilement : mais avec quel argent ils vont acheter tout cela ! Il faut protester parce que l’huile est plus chère au lieu de nous préoccuper de savoir comment entrer dans des hôtels luxueux. Dans un pays pauvre, comme le Mexique ou Cuba, ce sont des droits fictifs.

Peut-on parler des classes sociales à Cuba ?

Il y a des différences sociales mais non explicites. Je te donne un exemple. J’ai hérité la maison de ma mère, qui lui était restée d’avant la Révolution. Mais comme elle était très grande et je ne pouvais pas l’entretenir, j’ai déménagé dans une plus petite. Là je me suis rendu compte que ceux qui achètent ces grandes maisons sont ceux qui travaillent dans des entreprises privées. Officiellement ils ne peuvent pas toucher leur salaires en devises, mais sous une forme ou une autre ils ont beaucoup, beaucoup plus d’argent que nous. Ils peuvent réparer les toits, acheter du ciment... mais l’ostentation ou la différence n’est pas telle que cela oblige tous à le reconnaître ouvertement.

Après Raul : une nouvelle génération se prépare-t-elle à assumer le pouvoir ?

Raul a fait monter plusieurs dirigeants de la vieille garde. Par exemple, Machado Ventura, notre actuel premier vice-président, qui a dirigé le parti à son époque la plus stalinienne. Je comprends que Raul l’ait fait parce ce sont des gens en qui il a confiance. Mais plusieurs parmi nous, nous nous attendions à qu’il promeuve le groupe d’appui de Fidel, des jeunes gens comme le chancelier Felipe Perez Roque, Carlos Ballester, le secrétaire privé de Fidel, Carlos Lage. Il nous déconcerte un peu parce que d’un côté ils prennent des mesures de libéralisation, mais d’un autre côté ils augmentent la centralisation du pouvoir... tel que fait la Chine. Là-bas c’était la direction du parti qui a porté en avant l’ouverture, personne d’autre.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

Página 12 . Buenos Aires, le 25 Août 2008.

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