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27 mars 2006

Briser les rangs à la Banque Mondiale

 

La Banque Mondiale a annoncé cette semaine que l’Amérique latine a besoin de réduire la pauvreté si elle veut augmenter sa croissance - une conclusion qui pourrait être décrite comme "l’invention de l’eau tiède’, c’est-à-dire énonçant une évidence. Mais c’est un évènement pour l’institution créancière.

Par Marcela Sanchez
The Washington Post
, 17 février 2006.
CADTM . Belgica, le 12 mars 2006

Depuis sa création, la Banque mondiale a beaucoup parlé de réduction de la pauvreté. Mais elle travaille essentiellement, depuis plus de 15 ans, à des politiques de réforme économique, prêtant aux pays qui promettent de supprimer les barrières douanières, de déréguler et privatiser les industries et d’adopter des plans d’austérité pour réduire le déficit budgétaire et l’inflation. Ces réformes, connues désormais sous le nom de Consensus de Washington, étaient supposées libérer le potentiel économique des pays en développement et favoriser la croissance. Croissance qui, à son tour, était censée représenter une chance pour les pauvres et les sortir de la pauvreté.

Beaucoup de pays d’Amérique latine empruntèrent et appliquèrent les réformes. Mais les réformes elles-mêmes n’entraînèrent pas les conséquences prévues. Les performances latino-américaines furent décevantes, comparées notamment à la dynamique de croissance économique et de réduction de la pauvreté des pays d’Asie. La région a aujourd’hui les « plus importants taux d’inégalité du monde », avec un quart de la population vivant avec moins de $2 par jour, selon la Banque Mondiale.

Les auteurs du rapport de la Banque Mondiale, « Réduction de la pauvreté et croissance : le cercle vertueux et vicieux », reconnaissent qu’un pays ne se sort pas nécessairement de la pauvreté par la croissance, et que la pauvreté peut être un fardeau énorme pour l’économie et la croissance. Les régions pauvres qui manquent d’infrastructures n’arrivent pas à attirer les investissements. Les familles pauvres, confrontées à des coûts de scolarité élevés pour une éducation délivrée dans de mauvaises conditions, ne sont pas incitées à investir pour l’éducation de leurs enfants. Et, comme cela a été particulièrement clair ces dernières années, des pays incapables de limiter les disparités de revenus sont confrontées à des tensions sociales qui mettent en danger le monde des affaires. Selon les chiffres des auteurs, quand la pauvreté augmente de 10%, la croissance diminue de 1% et l’investissement est réduit jusqu’à 8% du PIB du pays.

Deux de leurs principales conclusions sont une découverte pour la Banque Mondiale : la croissance du secteur privé n’est pas la panacée pour les pauvres et les inégalités doivent être directement mises en question. Une troisième conclusion est presque une hérésie pour la Banque Mondiale : l’Etat a plutôt besoin de prendre plus de responsabilités économiques que moins. Selon le rapport, « convertir l’Etat en un agent qui promeut l’égalité des chances et pratique une redistribution efficace est, peut-être, le défi le plus critique que l’Amérique latine aura à relever en mettant en place de meilleures politiques qui stimulent la croissance en même temps qu’elles réduisent les inégalités et la pauvreté ».

La Banque reconnaît la réalité politique au même titre que la réalité économique. En préconisant plus de responsabilité pour l’Etat, particulièrement en terme de redistribution de la richesse, la Banque Mondiale semble rejoindre d’autres institutions multilatérales et gouvernements de la région. José Antonio Ocampo, sous-secrétaire général aux affaires économiques et sociales des Nations Unies, a dit dans une interview, après un colloque sur l’Amérique latine organisé par les Nations Unies au début du mois, que « aujourd’hui, la majorité (des dirigeants d’Amérique latine) reconnaît que l’Etat joue un rôle plus important que jamais dans le combat contre les inégalités ».

L’importante percée de la gauche lors des récentes élections latino-américaines reflète l’insatisfaction des peuples par rapport au Consensus de Washington. Même au Chili, le grand succès économique de la région, la Présidente élue de centre-gauche Michèle Bachelet insiste sur le besoin de mettre un point final aux « échanges » entre croissance et égalité. (Pour être honnête, son rival conservateur ne désapprouvait pas ; en fait, il promettait de réduire les inégalités économiques à travers des subventions gouvernementales, son objectif numéro un).

Les auteurs du rapport de la Banque Mondiale signalent qu’il existe déjà des programmes d’ « intervention » spécifique au Brésil, en Colombie et au Mexique, qui parviennent à être « à la fois pour les pauvres et pour la croissance ». Ces programmes procurent de l’argent liquide aux familles très pauvres à condition que leurs enfants restent scolarisés et qu’elles prennent des mesures pour améliorer leur santé. Au lieu de créer une dépendance ou d’accroître le taux de natalité, comme certains critiques le craignaient, les programmes ont « amélioré le capital humain avec succès » dans des régions de très forte pauvreté.

La Banque Mondiale va-t-elle appuyer ses nouvelles théories par un changement dans le processus ? Cela reste à voir. Après tout, le rapport n’est pas une répudiation du Consensus de Washington, mais la reconnaissance qu’il n’a pas été suffisant. Dans une analyse publiée à l’automne dernier, le Mouvement pour le Développement Mondial, basé à Londres, a trouvé que, sur les 450 conditions imposées par le FMI et la Banque Mondiale lors d’accords passés avec 50 pays, seules 11 n’étaient pas basées sur l’orthodoxie du Consensus de Washington.

Si la Banque Mondiale se mettait à considérer les mesures de réduction de la pauvreté comme une condition à toute assistance, cela serait un grand changement dans sa façon d’aider l’Amérique latine. Elle passerait ainsi d’une approche qui contribue à affaiblir les gouvernements à une approche qui cherche à les rendre plus forts.

Traduction : Aurélie Vitry (CADTM Orléans).

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