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31 janvier 2003

Avant-guerre

 

Par Ignacio Ramonet

Tout indique désormais que la guerre des Etats-Unis et de quelques-uns de leurs vassaux contre l’Irak aura bien lieu. Sur terre, sur mer et dans l’air, la formidable machinerie militaire est maintenant au complet et la logistique fin prête. Les caméras des télévisions du monde sont aussi sur place. L’ordre d’ouvrir le feu ne devrait plus tarder.

Rien pourtant, jusqu’à présent, aux yeux de la légalité internationale, n’autorise une telle agression. Les inspecteurs dépêchés par l’Organisation des Nations unies (ONU) pour découvrir d’éventuelles armes de destruction massive demeurent toujours bredouilles. Leur rapport remis à l’ONU le 27 janvier n’est pas concluant. Par ailleurs, aucun lien n’a pu être établi entre Bagdad et les réseaux terroristes islamistes, et en particulier celui d’Al-Qaida, auteur des horribles attentats du 11 septembre 2001 et devenu depuis l’ennemi public numéro un de Washington. Par conséquent, l’opinion mondiale continue de réclamer les preuves indiscutables qui justifieraient l’attaque à venir.

Le régime irakien est certes odieux, et M. Saddam Hussein un autocrate particulièrement détestable n’ayant pas hésité, à plusieurs reprises, à massacrer sa propre population, allant même jusqu’à utiliser contre elle des gaz de combat interdits par les traités internationaux. Cela justifie-t-il une « guerre préventive » ? Il n’est, hélas ! pas le seul dirigeant de cette nature. Et, lorsque cela servait ses intérêts, Washington n’a jamais eu le moindre scrupule à soutenir M. Saddam Hussein, dans les années 1980, et d’autres dictateurs : Marcos aux Philippines, Suharto en Indonésie, le chah en Iran, Somoza au Nicaragua, Batista à Cuba, Trujillo à Saint-Domingue, Pinochet au Chili, Mobutu au Congo-Zaïre, etc.

Certains des tyrans les plus sanguinaires restent soutenus par les Etats-Unis, comme le délirant Teodoro Obiang  [1]
, de Guinée-Equatoriale  [2], reçu avec tous les honneurs à la Maison Blanche en septembre 2002 par le président George W. Bush...

Devant tant d’arbitraire de la part de Washington, même de vieux alliés des Etats-Unis rechignent à les soutenir dans leur croisade contre l’Irak. Deux d’entre eux, la France et l’Allemagne, dans un mouvement de quasi-insubordination, ont affirmé, à la fin janvier, que les preuves n’étaient pas réunies pour justifier une intervention armée. Ils demandent que les inspecteurs de l’ONU voient leur travail prolongé afin que tout doute soit écarté sur la possibilité de détention d’armes de destruction massive par Bagdad. Et réclament, en tout état de cause, qu’une seconde résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorise explicitement l’usage de la force contre Bagdad. La France n’excluant pas d’utiliser, le cas échéant, son droit de veto. Cette position franco-allemande paraît avoir encouragé la Chine et d’autres membres du Conseil de sécurité à adopter des positions moins timides et à réclamer également une seconde résolution de l’ONU.

Tout cela a fortement irrité Washington qui ne décolère pas, en particulier à l’égard de Berlin accusée, comme Paris, de déloyauté. Mais ne paraît pas avoir modifié son intention d’envahir l’Irak. Le secrétaire d’Etat américain, M. Colin Powell, en arrivant au Forum économique mondial de Davos, le 25 janvier, a confirmé que les Etats-Unis pouvaient compter sur une douzaine de « pays amis », ce qui est, selon lui, plus que suffisant pour constituer une coalition internationale contre l’Irak.

Le monde continue de s’interroger avec inquiétude sur les vraies raisons de cette intervention militaire. Au Forum social mondial de Porto Alegre, par exemple, qui rassemble les principaux acteurs de la société civile planétaire, cette préoccupation a fortement marqué l’ensemble des débats. De nombreux intellectuels présents - Noam Chomsky, Tariq Ali, Naomi Klein, Adolfo Perez Esquivel, Eduardo Galeano, etc. - se sont demandé s’il n’était pas absurde, voire criminel, de consacrer des dizaines de milliards de dollars à faire cette guerre que rien ne semble justifier, alors que ces sommes seraient tellement plus utiles si elles étaient dédiées à l’éducation, la santé, l’alimentation, le logement et l’alphabétisation des quelque trois milliards de pauvres que compte notre planète. Tel est d’ailleurs le message que le président du Brésil, M. Luiz Inácio « Lula » da Silva, au nom de tous les déshérités, a transmis aux maîtres du monde réunis à Davos.

Pour une large partie de l’opinion publique internationale, ce conflit n’a d’autre but que le pétrole. Son objectif véritable étant de mettre la main sur l’une des principales réserves d’hydrocarbures du monde. Cette stratégie apparaît comme une manifestation de la nouvelle arrogance impériale des Etats-Unis, comme une sorte de « caprice de puissant » dont les conséquences géopolitiques (en plus des milliers de victimes humaines) pourraient être désastreuses.

Une guerre aussi voulue par la petite clique de « faucons » d’extrême droite (MM. Richard Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle, Douglas Feith, Jack D. Crouch, John R. Bolton, etc.) qui entoure le président Bush et qui pense, comme tous les enivrés de puissance, qu’on peut toujours apporter, à tout problème politique, économique ou social, une solution militaire...

Ignacio Ramonet.

LE MONDE DIPLOMATIQUE | FÉVRIER 2003 | Page 1
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/02/RAMONET/9699

Notes

[1Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1979, le général Obiang a été « réélu » pour un mandat de 7 ans, le 15 décembre 2002, avec 97,1 % des suffrages...

[2Lire Jean-Christophe Servant, « Offensive sur l’or noir en Afrique », Le Monde diplomatique, janvier 2002.

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