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4 janvier 2006

Automoteurs Orletti, l’atelier assassin de Condor

 

Au coin d’un quartier de classe moyenne à Buenos Aires, est encore en place un garage où fonctionnait la filiale argentine de l’Opération Condor. Des témoins affirment que dans ce lieu ont vu pour la dernière fois deux diplomates cubains qui s’ajoutent à long liste de disparus durant la dictature. Un collègue de Luis Posada Carriles, émissaire de la CIA est arrivé à Automoteurs Orletti pour torturer les deux jeunes.

Par Rosée Miriam Elizalde
Juventud Rebelde
. Cuba, 3 janvier 2006.

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Coronel Rubén Visuara
chef de la bande Gordon

Si ces murs pouvaient exprimer leurs sentiments, ils pleureraient. On ne remarque pas d’un simple coup d’oeil, que dans chaque morceau il a plu parfois du sang. Les traces commencent dans l’entrée principale de l’atelier, là où passent les voitures, qui s’ouvre et se ferme par un rideau métallique, les mêmes qui sont utilisées dans les vieux entrepôts de quartiers. Suit une porte contiguë, de taille normale, blindée et avec un judas, qui était seulement ouverte lorsqu’était prononcé un mot de passe préalablement convenu : "Opération Sésame", parodie "d’Ouvre-toi Sésame" de l’histoire d’Alí Babá et ses 40 voleurs.

De l’extérieur, le bâtiment est trop étroit et on a du mal à l’imaginer comme un entrepôt de torturés. Il occupe à peine l’espace de deux maisons. Il a deux étages. Dans le premier, entre des vieilles voitures et d’autres nouvellement enlevées aux victimes elles-mêmes, il y avait un réservoir d’eau et des crochets fixés au plafond, d’où on accrochait les prisonniers pour les supplicier par la technique appelé du "sous-marin" : submerger la tête dans l’eau croupie jusqu’au stade où ils commençaient à être noyés. Certains, comme Carlos Santucho, chef de l’ERP, sont morts de cette manière et on ne peut pas cesser d’imaginer son agonie et ses cris, qui ont dû terroriser encore plus les prisonniers qui se trouvaient à l’étage, où fonctionnaient deux autres salles de tortures dans lesquelles la gégène pouvait entraîner des souffrances inimaginables. Malgré leurs cris, rien n’a été entendu de l’extérieur. En face de la maison une ligne de chemin de fer coupe la rue. Quand le bruit des wagons n’assourdissaient pas l’endroit, les tortionnaires maintenaient la radio à fond et on profitait, en outre, des voix, des jeux des enfants et de la cloche de l’école Mauro Fernández, dont la cour est contiguë aux bâtiments. Avec cet humour macabre qu’ont parfois les assassins, les militaires appelaient ce centre « El Jardin » (La maternelle).

Seulement si on est averti de l’histoire qui est dissimulée là, on verra les traces de sang qui salissent la grande porte, se perdant perdent en haut de la rue, dans une direction inconnue. D’une certaine manière, rien ne suggère que ce coin est différent des autres. Une personne passe avec un journal sous le bras, un ivrogne dort sur le trottoir, le vent agite les feuilles du ceibo (arbre typique) près de la ligne de chemin de fer, le soleil chauffe comme d’autres après-midi. Mais là où il n’y a pas de plaques, ni de statues de marbre, ni de monolithes, ni escraches, les historiens affirment qu’en 1976 ce fut le siège de la filiale argentine de l’Opération Condor, la multinationale du crime qui a rassemblé dans un même effort "antisubversif" les dictatures latino-américaines durant la décennie 70 et au début des années 80.

D’ailleurs, l’adresse ne dit rien au conducteur qui m’a conduite par cette discrète ruelle de ce quartier de classe moyenne de Buenos Aires, jusqu’au 3519-21 de Venancio Flores, au coin d’Emilio Lamarca, à Floresta. Un panneau usé indique que dans ce lieu est situé un Atelier Intégral d’Automobiles Nationales et Importées. Il y a précisément 29 ans, il y avait un autre panneau indicateur avec deux mots seulement, "Automoteurs Orletti", dont la seule mention a mis nerveux le chauffeur du taxi : "Celui qui entrait là, ciao !... Très peu ont pu raconter l’histoire de ce que leur est arrivés à Orletti. J’en ai vu un à la télévision qui n’arrivait pas à comprendre pourquoi, si on l’avaient enlevé et torturé à Buenos Aires, il avait fini une autre fois torturé à Montevideo ".

L’année la plus productive de Condor

Le 31 décembre 1976 le journal l’Opinion se vantait qu’en un an "la guérilla" argentine avait souffert de 4.000 pertes et que les Montoneros, par exemple, avait perdu 80% de leurs dirigeants. Le « Buenos Aires Herald » était plus prudent : il estimait les victimes à 1.100 morts. Un journal clandestin ajoutait qu’ "il y a un mort toutes les cinq heures et une bombe toutes les trois". Pour la journaliste argentin Stella Calloni, auteur "Les années des loups", un classique sur l’Opération Condor, tous ces chiffres peuvent être vrais. "1976 c’est la clef. Ça a été l’année où on organise « Condor », bien que les dictatures latino-américaines travaillent depuis longtemps avec les Etats-Unis, particulièrement avec le Parti Républicain".

Le chiffre de disparus, seulement dans le Cône Sud, dépasserait les 50.000 personnes. En Amérique Centrale, le Guatemala tient le terrible record de 200.000 morts sous des dictatures successives qui ont provoqué 36 ans de guerre, comme le montre l’analyse soigneuse faite par la Commission de la Vérité, parrainée par les Nations Unies. (Voir en El Correo : Découverte des archives de la Police Guatémaltèque)

Le journaliste Manuel Buendía, un des plus importants journalistes mexicains, assassiné dans un attentat en 1984 dans la Ville de Mexico, est arrivé jusqu’à George Bush dans sa recherche sur ce sujet : "Bien qu’il ait été pour une courte période à la tête de la CIA - du 30 janvier 1976 au 20 janvier 1977 -, ce temps a suffi à Bush pour ordonner et soutenir certains des crimes les plus ténébreux durant ces 12 mois. Comme l’a écrit Buendía : ’Bush incarne la capacité d’intrigue et d’action violente, jusqu’aux extrémités du massacre... ’ Durant cette année la ronde de la mort n’a pas eu de repos en Amérique latine ".

En avril 1976, Bush a ordonne à l’un de ses agents d’organiser une réunion pour unifier les groupes des terroristes cubains disposés à combattre contre leur pays. À San José Costa Rica - Stella est convaincue qu’il y a eu deux réunions, une au Costa Rica et une autre en République Dominicaine - se constitue sous la direction de la CIA, le Commando d’Organisations Révolutionnaires Unifiées (CORU) avec Orlando Bosch comme coordinateur principal.

Dans tout ce cadre, "Luis Posada Carriles est un des hommes de première confiance de la CIA, d’un niveau semblable à celui de Félix Rodriguez, l’assassin du Che. Les autres étaient des deuxièmes couteaux qui allaient avec leurs pistolets à Rome ou déclenchèrent la commande à distance d’une bombe ou torturaient en Argentine".

Alors que Condor étendait ses ailes dans le sud du continent durant son année de gloire, Luis Posada Carriles fut au Chili et en Argentine, avant le meurtre de Letelier et l’explosion en vol de l’avion de passagers cubains au dessus des côtes de la Barbade avec 73 personnes à bord. Pourquoi faire ?

Des cubains à Automoteurs Orletti

Orletti a dirigé ce qu’on appelé le Groupe des Tâches 18, mené par Aníbal Gordon, un dur qui avait des antécédents pénaux pour vol à main armée et qui obéissait directement aux ordres du Commandant Général du Secrétariat d’Informations de l’État (SIDE), Otto Paladino. Depuis juin 1976, le lieu avait été loué par les services répressifs argentins et c’était une des 300 prisons clandestines de la dictature, mais elle s’était faite remarquer par deux faits à caractère exceptionnellement particulier : elle fonctionnait comme base principale des forces d’Intelligence étrangères qui opéraient en Argentine, articulées dans l’Opération Condor, et était conçue pour que des personne ne puisse ensuite raconter ce qu’il avait vu et avait souffert là. Des centaines de prisonniers qui sont passés par l’"atelier", il y a eu très peu de survivants.

Un d’eux, José Luis Bertazzo, est resté deux mois à Orletti. Il a réussi à identifier des Chiliens, des Uruguayens, paraguayens et boliviens parmi ses compagnons d’infortune, qui lui raconté qu’ils étaient interrogés par des fonctionnaires de leurs propres pays. Dans ce lieu, ont été aussi torturés la belle-fille - enceinte de sept mois - et le fils du poète argentin Juan Gelman. La fille de 19 ans a été transférée à Montevideo pour qu’elle, avant de disparaitre, accouche de sa fille. De Marcelo Gelman, journaliste et poète comme son père, on a jamais plus rien su. Comme le révèle le chercheur américain John Dinges dans un récent livre, "Les années du Condor", des prisonniers du MIR du Chili ont raconté à Bertazzo, à Orletti qu’ils avaient vu entre ces murs deux diplomates cubains, sauvagement torturés par le "Groupe de Gordon" et par un homme qui est venu de Miami seulement pour une journée, pour interroger les prisonniers de l’Île.

Crecencio
Galañega Hernández
Jesús
Cejas Arias

Jesus Cejas Arias, 22 ans, et Crescencio Galañega, de 26, avaient été capturés le 9 août 1976 face au parc Belgrano, dans un quartier résidentiel entouré d’ ambassades et de petits hôtels particuliers distingués. Tous les deux avaient intégré le groupe de jeunes qui gardait l’ambassadeur cubain à Buenos Aires, Emilio Aragonais, qu’ils avaient déjà essayé d’assassiner. Selon John Dinges qui a conversé avec des témoins qui ont assisté à l’enlèvement de Jésus et de Crescencio, que pendant qu’ils marchaient tranquillement par Virrey del Pino, au point précis du croisement avec la rue Arribeños, quelque 40 hommes armés ont bloqué avec leurs Ford Falcon les deux côtés de la voie. "Les deux jeunes ont offert une résistance énorme. Les argentins n’ont pas ouvert le feu avec leurs armes parce qu’ils les voulaient vivants. Ils ont été interrogés par des fonctionnaires argentins et Chiliens. Tant le FBI que la CIA ont été informés des arrestations et des interrogatoires", affirme Dinges.

Le 22 septembre 1976, l’homme du FBI à Buenos Aires, Robert Scherrer, a envoyé à Washington un rapport méticuleux - déclassifié et publié dans le livre de Dinges - avec information de "ses sources". L’enlèvement des cubains avait été une opération de la SIDE et des fonctionnaires du FBI avait reçu un rapport des interrogatoires. Scherrer commente en passant que l’agent de la CIA et de la DINA chilienne Michael Townley, impliqué dans le meurtre du diplômate Orlando Letelier, a aussi pris part aux "interrogatoires".

Un autre témoin de premier ordre, l’ex chef de la DINA, confirmerait ces preuves. Le 22 décembre 1999, pendant une rencontre à Santiago du Chili avec la juge fédérale argentine María Servini de Cubria qui faisait des recherches sur le meurtre de Letelier, Juan Manuel Contreras Sepulveda allait donner davantage de détails sur la présence de la CIA dans Automoteurs Orletti. Contreras a volontairement déclaré que l’américain Michael Townley et le cubain Guillermo Novo Sampoll ont voyagé depuis le Chili en Argentine le 11 août 1976. "Là ils ont coopéré dans la torture et le meurtre des deux diplomates cubains", a-t-il affirmé, et ses déclarations sont non seulement dans l’acte de la juge, mais il les a répétées aux journalistes à chaque occasion que la presse lui a donné de faire des déclarations depuis lors.

Dans son autobiographie "Les chemins du guerrier", Luis Posada Carriles inclut le meurtre de Jésus Cejas Arias et de Crescencio Galañega parmi les succès de sa lutte contre le "communisme castriste". Orlando Bosch s’est vanté dans « The Miami Herald » de cette opération conclue avec la CIA et avec les dictatures d’Argentine et du Chili : "Nos alliés ont dû se compromettre, et ainsi ils l’ont fait, dans l’enlèvement de deux membres de l’ambassade à Buenos Aires, qui ne sont jamais réapparus".

Les griffes du Condor

José Ramon Morales et Graciela V. de Morales ont réussi à s’échapper, blessés et nus, une nuit de novembre 1976. Graciela avait pu dénouer ses mains attachées et voler à son gardien de prison deux armes, en l’attaquant par surprise quand il dormait. Nadia Urrutia, une personne qui vivait dans le quartier de Floresta depuis plus de 40 ans, se rappelle du terrible échange de feux et la chasse qui a été déclenchée devant les voisins abasourdis. "De cet atelier qui était toujours fermé sortaient comme de rats les gardes habillés en civil", raconte-t-elle. La fuite du couple a obligé à fermer rapidement Automoteurs Orletti, comme le nid principal de Condor en Argentine, mais a laissé ce rapace en plein vol.

De fait le Condor continue à voler, comme si de rien n’était, 30 ans après. "Condor n’est pas un Plan, mais une série d’opérations de caractère transnational que dirige et continuera à diriger les Etats-Unis avec l’utilisation de mercenaires", dit Stella, celle qui ne se fatigue pas de signaler que nous continuons à vivre dans un monde de terreur globalisée, peut-être plus sophistiqué que celui des décennies précédentes. Automoteurs Orletti, comme les prisons clandestines que dirige maintenant la CIA en Europe, ce sont les nids d’un même oiseau. Le cerveau et le cœur de Condor sont étasuniens, mais les griffes souillées de sang ont généralement différentes nationalités. Avant, pendant et après 1976, ils étaient "made in Miami".

Traduction pour El Correo de l’espagnol : Estelle et Carlos Debiasi

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