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17 novembre 2015

Aujourd’hui plus que jamais, revendiquer la politique

par Antonia García Castro *

 

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Etonnant ce silence, dans plusieurs pans de la société, à Paris quant à la dimension politique du drame qui nous afflige. Nous tous, en ces jours et tous les jours où nous citoyens, nous nous révélons impuissants dans différents endroits du monde. Impuissants face à l’orgueil, l’ineptie et la criminalité organisée des puissants qui détiennent le monopole du mot légitime qui sert se nommer et à nommer ; pour dire et convaincre les autres de pratiquement toute chose ; et qui s’avèrent capables, de la façon dont l’a dénoncé Orwell – qui n’a pas vécu assez pour analyser la part de totalitarisme qui est compatible avec la démocratie – de soutenir que la Guerre est la Paix.

Qu’a fait d’autre le Président François Hollande dans son allocution du samedi 14 novembre ? Assumer et se taire. Assumer que c’est une guerre mais en laissant de côté la question de qui et quand a-t-elle été déclarée, de qui et quand s’est-on chargé de condamner à l’insécurité perpétuelle les populations civiles de différents territoires. Quel type de logique soutient la nouvelle attaque de la Syrie ? L’aberration que constitue ce nouveau bombardement qui prolonge la chaîne de morts innocents. Les victimes qui – nous le savons déjà – ne sont pas toutes égales. Elles le ne sont certainement pas et, de quelque façon, Orwell nous a aussi permis de penser cela : tous les morts sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres.

Mais, peu importe : LA FRANCE RIPOSTE. La France répond. La France contre-attaque et bombarde Raqqa. Ainsi l’affiche aujourd’hui le quotidien Libération. Ce n’est pas le titre. Le titre est autre et renvoie à la tragédie vendredi, à la scène visible de la douleur. La scène du deuil susceptible de générer un sentiment d’union qui n’existe dans aucune autre scène française. Sans doute comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon ( fondateur du Parti de Gauche) il faudra laisser passer ce moment de deuil, ce moment de douleur, pour recommencer à mettre des mots. D’autres mots.

Quelle est la part de responsabilité qui correspond à l’État français dans ce massacre survenu sur son propre territoire ? Peut-on penser qu’elle est proportionnelle à la responsabilité qui lui correspond dans d’autres massacres ? L’État français, son actuel gouvernement - socialiste ? – peut – il considérer sa politique extérieure comme réussie ? Est-il possible que cette politique extérieure française ne soit, non seulement, pas remise en question mais, au contraire, renforcée ? Comment savoir avec exactitude, dans ce type de décisions – bombarder Raqqa au titre « de réponse » – quelle est la part raisonnée, calculée, et quelle est la part de désespoir ? Le « sauve qui peut » qui entre peut-être aussi en jeu. Est-il possible de considérer comme réussie une politique de sécurité intérieure qui, bien que depuis des années restreigne la liberté, se révèle à nouveau incapable d’assurer la vie sur le territoire français ? Est-il possible que, depuis les cercles politiques, les voix qui se sont levées avec le plus de force pour remarquer qu’il y a eu « échec« soient celles de droite ? Des voix qui exigeront plus et pire encore : l’application pure et simple d’une logique guerrière sans complexes et avec tous les moyens de l’État, à l’intérieur et en dehors du territoire français.

La tragédie dont souffre aujourd’hui la France nous met en face d’une situation dont, dans une plus ou moins grande mesure, nous souffrons tous dans nos propres territoires de résidence. Et c’est la capacité faible ou nulle que nous avons, nous, les citoyens d’exercer un contre-pouvoir à l’heure de montrer des différences avec telle ou telle décision de gouvernement ou –franchement et ouvertement – avec toute politique gouvernementale. Quel doute avons-nous sur le fait que, dans ce cas, la France ne fonctionne pas comme un seul homme ? Quel doute avons-nous sur le fait que, en France, ils existent des groupes importants qui n’avalisent pas les décisions criminelles et risquées prises par ses derniers présidents de n’importe quel bord qu’ils soient ? Parmi les voix qui ont montré des postures différentes celle-ci :

« Ces attentats sont des actes ignobles. (…) Mais nous n’avons aucune solidarité avec l’État français et avec ses dirigeants politiques. Ceux-ci ont une large part de responsabilité dans les guerres qui ensanglantent aujourd’hui le Moyen-Orient. (...) C’est pourquoi Lutte ouvrière n’ajoutera pas sa voix au concert de l’unité nationale. Nous ne partageons rien avec les Hollande, les Sarkozy et les Le Pen ».

Ainsi s’est exprimée Nathalie Arthaud, dirigeante trotskiste de Lutte Ouvrière. Ce qui a suscité plus d’un commentaire ironique, non pas envers ce parti politique en particulier mais envers toute une gauche française (plurielle, formée par des différents groupes et traditions) qui s’obstine dans son discours critique et qui est, clairement, minoritaire.

Et tout à coup, on perçoit le cercle. Il ne s’agit pas tant de ce qu’il y ait peu de voix pour essayer de nommer les choses par leur nom sinon que, dans ce cas aussi, toutes les voix sont égales … mais certaines sont plus égales que d’autres …

Que ferons-nous avec notre minorité ? Sommes-nous réellement une minorité ? Ou sommes-nous une majorité qui s’ignore, qui ne trouve pas la manière d’élaborer sa façon de faire pression sur les irresponsables qui conduisent ce monde, notre monde, au déclin ? Comment ferons-nous pour que la démocratie cesse d’être, dans tant et tant de lieux, le chantage au moindre mal ? La grande escroquerie qui, de temps en temps, transforme la majorité des citoyens en otages de leur classe politique. (Et, comme si ce n’était pas assez, dans quelques cas, d’ impérialistes sans pouvoir ou d’ impérialistes qui n’ont déjà plus le pouvoir de sauver personne, qui peuvent seulement condamner).

Il me vient de dire qu’il faut s’obstiner. Non dans l’expression d’une lamentation sinon dans la construction de solidarités efficaces. Notre lamentation ne sert pas (quelle que soit la victime) si elle ne s’accompagne pas du renforcement d’espaces concrets où on peut élaborer une voix et une action libres. Libres de tromperie, libres d’auto-complaisance. Et, en plus de libres, têtues dans la construction du lien ici et maintenant. Le lien : celui qui unit ceux qui ont des croyances différentes, d’autres façons de penser, peuvent se rencontrer dans la nécessité de ne pas s’abandonner à l’impuissance face à ce que les autres font au nom des peuples auxquels nous appartenons. Ce lien, le fait de contester ce qui est fait en « mon nom », je l’appelle aussi politique.

Antonia García Castro* pour diarioUChile

diarioUChile. Buenos Aires, 16 novembre 2015.

*Antonia García Castro De nationalité chilienne. Diplômée de l’IEP de Paris, docteur en sociologie (EHESS). Collaboratrice de la revue Cultures & Conflits et du journal électronique de Radio Universidad de Chile.

El Correo de la diaspora latinoamericaine. Paris, le 17 novembre 2015.

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