recherche

Accueil > Notre Amérique > Au bout du chemin de l’Amérique du Sud l’horreur libérale

15 mars 2006

Au bout du chemin de l’Amérique du Sud l’horreur libérale

par Agnès Maillard-Aggie

 

Le libéralisme avance masqué, pas à pas, inexorablement, sans jamais dévoiler ce qu’il nous réserve au bout du chemin. Et c’est ce qui fait sa force ! Car si nous savions ce qui nous attend au bout du chemin, nous ne nous résignerions pas sous les coups de boutoir libéraux, nous entrerions tous en résistance.

"Oui, quand vous examinez en quelque sorte d’où on vient et où on est et où on va, il est évident que l’espace est gigantesque. Mais la réalité de ce grand bond en arrière, c’est qu’il s’est opéré par petits sauts de puce, un peu comme quand vous êtes dans un corridor et qu’à chaque fois derrière vous une porte se ferme, vous ne pouvez plus faire machine arrière, donc vous avancez, une porte s’ouvre, alors vous ne pouvez plus faire machine arrière, et puis vous avancez, et puis vous avancez... et puis au bout de la route, la société à laquelle vous accédez n’a plus rien à voir avec celle que vous avez quittée, mais on a barré les portes de sortie, les portes de recul, on vous a dit : « Il n’y a plus d’alternative, vous êtes obligés d’aller plus loin » et il n’y a plus d’alternative parce que naturellement on a cassé les alternatives, on a déchaîné les forces du marché et on a contraint un nombre croissant de gens à vivre de manière calculatrice, conformément au canon du libéralisme."
Serge Halimi  [1]

L’effet cliquet

Comme le dit si bien Serge Halimi, ce qui fait la force du libéralisme, c’est :

 sa capacité à nous faire croire qu’il est inéluctable
 l’impossibilité dans laquelle nous sommes de voir où cette politique économique nous mène, notre incapacité à anticiper ce qui nous attend au bout du chemin.

L’avancée inexorable du programme libéral de déconstruction sociale, tel qu’il est décrit par Halimi, m’évoque encore plus fortement la manière dont les fermiers canalisent et conduisent les troupeaux de vaches.

Au début, les vaches sont dans un grand enclos, puis quelqu’un ouvre une porte et commence à pousser le troupeau vers cette porte. Dès qu’une ou deux meneuses passent ce seuil, le reste du troupeau s’y engouffre. Puis la porte se referme et les vaches se retrouvent dans un enclos plus petit, sans possibilité de revenir en arrière.

De porte en porte, le troupeau est canalisé, dirigé, sans rien savoir de sa destination, jusqu’à ce qu’il arrive dans un long couloir qui se rétrécit, où il n’y a pas de place pour que deux vaches se tiennent de front. Vers le bout du couloir, les vaches arrivent dans un espace de contention, où les parois compriment doucement les flancs de l’animal, comme une étreinte rassurante. Chaque vache est poussée à continuer d’avancer, poussée par celle qui la suit. Puis elle passe une petite porte, et... elle se fait abattre.

Tout l’intérêt du cheminement vers l’abattoir, c’est la canalisation du troupeau, l’aspect inexorable de sa progression, le fait qu’il n’a jamais le choix et que toute possibilité de rebrousser chemin lui est coupée au fur et à mesure de son avancée. Et, à aucun moment, la vache n’a la possibilité de deviner où ce mouvement la conduit.

Les français sont des veaux

Cette phrase de Gaulle est-elle prophétique ou a-t-elle juste servie d’inspiration pour le train de "réformes" anti-sociales que nous subissons, vague après vague, et qui érode les fondations de notre système social ?

Comme à des ruminants, on nous fait avancer de force sur la route de la libéralisation sans jamais nous donner un cap, un but, une espérance, sans jamais, surtout, nous parler d’un modèle de société, sans nous proposer une vision d’avenir. On avance, au coup par coup, dans l’urgence du moment, toujours à un doigt de la catastrophe, trop content d’y échapper en resserrant la ceinture d’un petit cran à chaque fois, mais sans savoir où nous allons.

 Sommes-nous résignés, naïfs, trop confiants, pour accepter sans cesse d’avancer sur un chemin dont on ne connait pas la destination ?
 Ne sommes-nous donc que des veaux ?
 N’y a t’il pas moyen de percevoir le bout du chemin ?
 N’y a t’il pas moyen de savoir vers quel avenir radieux nos gouvernants nous aiguillonnent avec la patience du pasteur conduisant son troupeau vers de plus vertes prairies ?
 Cela ne vaut-il pas le coup de se sacrifier un peu aujourd’hui, pour en recueillir les fruits savoureux demain ?

Ne travaillons-nous pas pour que nos enfants aient une vie meilleure que la nôtre ?
Ah, si seulement nous avions la possibilité d’écarter le rideau du temps et d’entrevoir la société que construit aujourd’hui le libéralisme déclaré de nos gouvernants...

Le Laboratoire Sud-Américain

Même si l’information internationale tient la portion congrue des actualités chez nous, de temps à autre, on entend parler, en dehors de l’Irak ou des Etats-Unis, de l’Asie, la Russie, et parfois même, si une bonne catastrophe humanitaire s’y prête, de l’Afrique.
Mais franchement, si vous faites un effort de mémoire, depuis combien de temps n’avez-vous pas entendu parler d’Amérique du Sud ?

 Serait-ce qu’il ne s’y passe jamais rien ?
 Serait-ce que tout y va pour le mieux, et que le bonheur passe mal à la grand-messe du journal télévisé ?

L’Amérique Latine est un sous-continent d’une très grande richesse, d’une très grande diversité d’écosystèmes, et qui jouit d’immenses ressources naturelles. Aussi, quand en parcourant le site de RISAL, je suis tombée sur ça, je n’ai pas compris tout de suite :
Plus de la moitié des 400 millions de Latino-Américains ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. 102 millions sont indigents, et n’ont même pas de quoi nourrir leurs enfants. Voilà le bilan synthétique de l’application, durant ces deux dernières décennies, des politiques libérales dans ce continent. [2]

L’Amérique du Sud s’est tiers-mondisée. Sous la pression du libéralisme le plus débridé, avec l’appui et la bénédiction de la Banque Mondiale et du FMI, des pans entiers de la classe moyenne se sont paupérisés, les inégalités ont explosé jusqu’à ce qu’on parvienne au désastre actuel : une société duale avec une petite minorité de classes possédantes, très riches, qui détiennent le pouvoir et une immense foule, très pauvre, voire misérable, qui n’a même plus les miettes à se partager.

L’Argentine, qui a été un pays très prospère, dont les capacités agricoles d’il y a une trentaine d’années ont attiré des paysans de ma région, l’Argentine, dont j’ai dégusté il y a déjà quelque temps les savoureux T-bone steacks, l’Argentine meurt de faim !

Notre peuple subit la pire punition de son histoire : 55 enfants, 35 adultes et 15 personnes âgées meurent chaque jour pour des raisons liées à la faim. C’est-à-dire presque 450.000 personnes entre 1990 et 2003 : un véritable génocide économique.

Vingt millions de personnes (sur une population totale de 38 millions) vivent en dessous du seuil de pauvreté, 6 millions sont indigents (c’est-à-dire qu’elles souffrent d’une faim extrême) et près de 5 millions sont sans emploi. [3]

Et comment l’Argentine, cette terre de cocagne agricole peut se retrouver à mourir de faim ?

L’Argentine produira cette année 34.5 millions de tonnes de soja transgénique [2] ( 50% de la production totale de grains) sur un peu plus de 14 millions d’hectares ( 54% de la superficie cultivée ). 99% de ce soja est transgénique et a pour destination principale les fourrages dans l’UE et la Chine qui utilisent ce soja pour élever leur bétail, bétail qu’ils exportent ensuite sur des marchés qui ont cessé d’acheter de la viande argentine parce que sa production bovine à ciel ouvert et dans des pâtures naturelles a été affectée par l’expansion incontrôlée du soja transgénique. Ainsi, en produisant des matières premières (commodities) au lieu d’aliments et de produits industriels, le gouvernement obtient des devises pour payer la dette extérieure illégitime. [4]

Grâce aux producteurs d’OGM, Monsanto, Syngenta, Dupont et consors, qui prétendent pourtant œuvrer pour le bien commun, mais qui en fait, ont transformé l’Argentine en industrie à nourrir le bétail européen tout en réduisant à l’indigence les Argentins.
Nous sommes bien loin, soudain des bienfaits avérés des OGM dont les médias nous rabattent complaisamment les oreilles depuis une semaine...

Nous avons surtout un bon aperçu de ce que le libéralisme construit réellement, de ce vers quoi nos dirigeants nous font cheminer comme du bétail : une société féodale dont l’avènement repose sur le démantèlement des systèmes de régulation sociale.
Avec une poignée d’années d’avance, ce que nous montre le laboratoire sud-américain, c’est la destruction programmée de la classe moyenne, destruction par la paupérisation généralisée et par la faim.

Car l’immense masse de la classe moyenne, c’est effectivement ce qui sépare la classe possédante du pouvoir sans partage, de l’accumulation des biens et des capitaux sans limite.
Loin d’avoir prospéré sur les cendres de la lutte des classes, le libéralisme en est l’expression la plus sauvage et la plus brutale, en ce qu’il poursuit l’élimination de la classe moyenne et la mise sous le fouet de ce qui restera des classes laborieuses. C’est le retour au XIXème siècle le plus inhumain, comme l’illustre cette citation du "Grand bond en arrière" reprise par Jean :

« Quand les pauvres sont rendus misérables,
leur nombre diminue.
Le secret est connu de tous les tueurs de rats.
Une méthode plus rapide encore consisterait à employer l’arsenic »

Thomas Carlyle [[Autisme « de la droite française »]

On peut évidemment penser que nous en faisons trop, que nous choisissons de forcer le trait, de prendre des poses dramaturgiques pour mieux éveiller les consciences endormies dans la torpeur de l’été et le brouhaha du néant médiatique.

Mais avec seulement quelques années d’avance sur nous, l’Amérique du Sud nous permet enfin d’apercevoir ce qui nous attend au bout du chemin libérale.
Et ce que l’on y voit devrait vous glacer d’effroi !

Altermonde-Le Village , samedi 31 juillet 2004,

Notes :

Notes

[1extrait de "Réformer", disent-ils.... 1/2, Emission Des Sous...et des Hommes du 14 Mai 2004 sur AligreFM

[2L’héritage libéral en Amérique Latine

[4idem

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site