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6 janvier 2006

Amérique latine : Il faut écouter la rivière, qui apporte des pierres.

par Sergio Ramirez

 

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La franche victoire d’Evo Morales aux élections présidentielles de la Bolivie sera conflictuelle pour certains, mais ce n’est pas pour cela qu’elle est une victoire moindre.

Non seulement pour la première fois un chef indigène a été élu, mais aussi pour la première fois depuis des décennies, les élections ont abouti dès le premier tour en Bolivie, et pour la première fois un président va avoir la majorité parlementaire dans un pays où l’instabilité politique a été très dépendante de la fragmentation de forces au moment d’assumer des décisions critiques.

Non seulement la question ethnique a été au centre de ces élections, mais aussi l’affaire des hydrocarbures. La Bolivie est assise sur un lac de gaz, la seconde réserve latino-américaine après le Venezuela, et la façon dont doit être gérée cette richesse a créé des divisions, même régionales, des confrontations et rébellions. Et non moins sensible sera la question de la culture de la coca, que le nouveau président a promis de légaliser parce qu’elle appartient à une tradition très antique.

Mais hors de ces répercussions internes, cette élection en aura d’autres plus sensibles sur le plan international. La Bolivie sera rapidement dans la liste des pays qui diffèrent substantiellement de la politique menée par les Etats-Unis dans la région, ou qui s’y opposent ouvertement : Cuba, le Venezuela, Brésil, Argentine, Uruguay, des pays qui n’ont pas une même identité idéologique mais qui ont attendu avec anxiété le triomphe de Morales, comme l’a exprimé le président Lula da Silva du Brésil lors de sa dernière rencontre avec le président Kirchner d’Argentine.

Ils n’ont pas une identité idéologique, mais partagent, en général, un même sentiment contre les ajustements monétaires dictés par le Fonds Monétaire International (FMI), de la réussite desquels dépend des soutiens financiers du FMI lui-même et de la Communauté internationale. Le Brésil et l’Argentine, qui ont les ressources pour le faire, ont décidé de cesser d’être endettés avec le FMI, et ils lui ont payé par avance, ensemble, 25 milliards de dollars, proclamant ainsi leur propre liberté à choisir leurs propres politiques économiques.

Est aussi en jeu le traité latino-américain de libre commerce avec les Etats-Unis, l’ALCA, démonisé lors du dernier sommet de Mar del Plata. Le Venezuela, chaque fois partenaire plus proche du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, comme le sera de maintenant de la Bolivie, entrera bientôt dans le MERCOSUR (fait depuis décembre 2005), et la proposition de Chávez d’une alliance économique sans l’Etats-Unis, l’ALBA, tend à devenir attrayante dans la mesure où le Venezuela peut intervenir comme appui de la balance de paiement pour ses partenaires, en achetant une part importante de leur dette externe, en passant commande pour la fabrication de bateaux et d’ avions à l’Argentine et au Brésil, et en concrétisant des mégaprojets dans l’industrie pétrolière. Chávez a largement les ressources pour le faire.

Une très probable victoire de Manuel Lopez Obrador aux élections présidentielles du Mexique cette année, viendrait renverser le panorama en termes géopolitiques. Le gouvernement de Fox essaye de charmer les pays d’Amérique centrale, aux économies faibles et dépourvues de tout, pour qu’ils ne passent pas du côté de Chavez, et propose, pour le moment, la construction d’une énorme raffinerie dans l’isthme, alors que l’ambitieux plan Puebla-Panama ne paraît pas avoir accroché. Une alliance Lopez Obrador -Chavez, au lieu de la confrontation actuelle entre Fox et Chavez, laisserait les Etats-Unis dans une position plus que précaire en ce qui concerne l’Amérique Centrale. Hors de la signature d’accords bilatéraux de libre commerce avec chacun des pays d’Amérique centrale, la coopération des Etats-Unis pour le développement de ces pays, appauvris comme il en existe peu, n’est pas très généreuse.

Cela ne suffira désormais pas pour les Etats-Unis de sonner le gardeà vous parce que la liste de "gouvernements hostiles" grandit en Amérique latine, et cela ne lui servira à rien de continuer à accuser Cuba et Venezuela de résultats électoraux comme ceux qui ont donné le pouvoir à Evo Morales en Bolivie. Il s’agit dans tous les cas de gouvernements légitimement élus et conformes aux règles démocratiques que les Etats-Unis eux-mêmes défendent comme une panacée, aussi loin qu’en Irak.

Le point est que les options essayées jusqu’à présent sont tombées en discrédit, et les gens tendent à regarder vers des promesses différentes, dont l’efficacité devra aussi être prouvée. Mais les candidats de la gauche triomphante posent clairement le rejet des politiques qui jusqu’à présent ont démontré leur inutilité, parce qu’au lieu d’apporter le bien-être, elles ont aggravé jusqu’à des extrémités jamais vu avant la pauvreté.

L’espoir des gens d’avoir des gouvernements honnêtes, contraires à toute corruption, n’est pas absent. Si Lula arrive à perdre les prochaines élections au Brésil, ce sera par les scandales d’achat de votes parlementaires dans lesquels son gouvernement a été plongé. Et la corruption sera l’unique cause capable de miner le pouvoir de Chavez au Venezuela.

En dehors de cela, ces nouveaux gouvernements ont reçu comme mandat de réviser ces vieilles politiques économiques, et la Communauté internationale, à commencer par les Etats-Unis, doit prendre conscience de cela, au moins sur deux aspects fondamentaux : la gestion des ressources naturelles, où resurgit aujourd’hui le concept de souveraineté, qui était arrivé à être pratiquement oublié, et les programmes d’ajustement, qui devront avoir un visage humain pour qu’ils soient viables. Générateurs de bien-être, non de misère. Il faut prêter l’oreille à la rivière, elle apporte des pierres.

Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

Convention La Insignia / Rel-UITA
Masatepe, 20 décembre 2005.

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